conscience

Sur l'empirisme

Ces extraits doivent permettre au lecteur de se donner une première idée de l'empirisme, tradition philosophique qui fait de l'expérience sensible la source de toute connaissance, et ce dans le cadre posé par l'atelier sur Kant de Jean-Michel Muglioni.

 

LOCKE, préface à son Essai philosophique concernant l'entendement humain, où l'on montre quelle est l'étendue de nos connaissances certaines et la manière dont nous y parvenons (traduction Coste, 1700, cité dans l'édition de 1755, reproduction Vrin 1972), note p. XXIX : 

"S'il était à propos de faire l'histoire de cet Essai, je vous dirais que cinq ou six de mes amis s'étant assemblés chez moi, et venant à discourir sur un point fort différent [il s'agissait des principes de la moralité et de la religion révélée], se trouvèrent bientôt poussés à bout par les difficultés qui s'élevèrent de différents côtés. Après nous être fatigués quelques temps, sans nous trouver plus en état de résoudre les doutes qui nous embarrassaient, il me vint dans l'esprit que nous prenions un mauvais chemin ; et qu'avant de nous engager dans ces sortes de recherches, il était nécessaire d'examiner notre propre capacité, et de voir quels objets sont à notre portée, ou au-dessus de notre compréhension. 

p. XXVII, Locke conclut sa préface ainsi : 
…car la plupart des questions et des controverses qui embarrassent l'esprit des hommes, ne roulent que sur l'usage douteux et incertain qu'ils font des mots, ou (ce qui est la même chose) sur les idées vagues et indéterminées qu'ils leur font signifier. » 


P. XXXII – Et dans un siècle qui produit d'aussi grands maîtres que l'illustre Huygens et l'incomparable Mr. Newton, avec quelques autres de la même volée, c'est un assez grand honneur que d'être employé en qualité de simple ouvrier à nettoyer un peu le terrain, et à écarter une par-tie des vieilles ruines qui se rencontrent sur le chemin de la connaissance, dont les progrès auraient sans doute été plus sensibles, si les recherches de bien des gens pleins d'esprit et laborieux n'eussent été embarrassées par un savant mais frivole usage de termes barbares, affectés, et inin-telligibles, qu'on a introduit dans les sciences et réduit en art, de sorte que la philosophie, qui n'est autre chose que la véritable connaissance des choses, a été jugée indigne ou incapable d'être admise dans la conversation des personnes polies et bien élevées. » 

109 « ...quoique l'homme reçoive de la fièvre un goût amer par le moyen du sucre, qui dans un autre temps aurait excité en lui l'idée de la douceur, cependant l'idée de l'amer dans l'esprit de cet homme, est une idée aussi distincte de celle du doux que s'il eût goûté du fiel. Et de ce que le même corps produit, par le moyen du goût, l'idée du doux dans un temps, et de l'amer dans un autre temps, il n'en arrive pas plus de confusion entre ces deux idées, qu'entre les deux idées de blanc et de doux, ou de blanc et de rond, que le même morceau de sucre produit en nous dans le même temps. Ainsi les idées de couleur citrine et d'azur qui sont excitées dans l'esprit par la seule infusion du bois qu'on nomme communément lignum nephreticum, ne sont [110] pas des idées moins distinctes, que celles de ces mêmes couleurs, produites par deux différents corps. »

Contribution à la critique de l'économie politique, un extrait


L'extrait suivant est tiré de la préface de l'ouvrage de Marx de 1859, la contribution à une critique de l'économie politique. On y retrouvera la célèbre formule du matérialisme dialectique : "Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience".


Le résultat général auquel j'arrivai et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur à mes études, peut brièvement se formuler ainsi : dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel - qu'on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production. Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale, contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui naît des conditions d'existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achève donc la préhistoire de la société humaine. 




 

 

Notes

Titre original

Zur Kritik der politischen Ökonomie (1859). 


Edition française utilisée ici : 

Traduction française de Maurice Husson et Gilbert Badia, pour les Editions Sociales (1957). 


Edition en ligne 

Edition française la plus récente : 

Karl Marx, 
Œuvres, tome 1
Gallimard, Bibliothèque de la Pleiade, 1821 p., 
ISBN-10 : 2070103463
ISBN-13 : 978-2070103461