Que peut la famille en matière d'éducation? Dans quelle mesure l'hérédité permet-elle d'espérer dans l'amélioration progressive de l'espèce? Comte soulève ici des questions délicates qui permettent d'approfondir notre réflexion sur l'eugénisme platonicien. On notera que si le fondateur du positivisme affirme ici la nécessité d'une régulation et d'un contrôle de la reproduction humaine, il souligne son importance et sa spécificité en attribuant à la morale et à la liberté seules le soin de l'effectuer. L'analogie avec l'élevage animal instruira donc tant par les rapprochements qu'elle permet, que par les limites qu'elle marque.
Siège nécessaire de la principale production, la famille s’y lie principalement à l’ensemble d’une activité dont elle fournit tous les coopérateurs. Mais la prépondérance d’une telle attribution reste encore dissimulée par la difficulté de la régler, faute de notions et d’institutions convenables. Le vrai début de l’éducation humaine s’accomplit dans une brutale ivresse et sans aucune responsabilité. Dès lors, on doit craindre que notre sagesse ne parvienne jamais à systématiser assez une existence qui commence ainsi. Néanmoins, les succès obtenus envers des êtres moins modifiables permettent d’espérer que la fonction initiale comporte autant de régularité que l’ensemble de ses conséquences.
Il faut peu s’étonner d’un tel contraste entre l’importance accordée aux propagations inférieures et la négligence apportée envers la procréation principale. Car les moyens grossiers et violents qu’on applique aux unes ne peuvent être aucunement étendus à l’autre. Un tel domaine restera doublement réservé jusqu’à l’avènement du positivisme, seul capable d’y fournir à la fois les théories et les institutions convenables, en complétant et en systématisation la science et la morale. Sans la division normale des deux pouvoirs, attribut général de la religion de l’Humanité, la procréation ne peut être réglée, dans notre race, que par des prescriptions politiques, autant dépourvues d’efficacité que de dignité.
Auguste Comte, Système de politique positive, tome IV, chapitre 4, p. 317-318
Note
Ce texte a été commenté lors de la séance du 9 décembre 2010 de l'atelier de Frédéric Dupin consacré à la République de Platon.