Bien

Quels sont les critères du bien et du mal ? Du bon et du mauvais ?

Dans cet extrait, Spinoza tient un propos apparemment paradoxal : d'un côté, il n'existe rien de bon ni de mauvais dans la nature, et en soi. Bon et mauvais n'indiquent que notre rapport aux choses... D'un autre côté, il est nécessaire de poser des normes de conduite valables pour tout homme, dans la mesure où l'on cherche à établir une éthique. 

« Quant au bon et au mauvais, ils n'indiquent également rien de positif dans les choses, considérées du moins en elles-mêmes, et ne sont rien d'autre que des modes de penser ou des notions que nous formons parce que nous comparons les choses entre elles. Une seule et même chose peut être dans le même temps bonne ou mauvaise et aussi indifférente. Par exemple la musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour l'affligé ; pour le sourd elle n'est ni bonne ni mauvaise. Bien qu'il en soit ainsi, cependant il nous faut conserver ces vocables. Désirant en effet former une idée de l'homme qui soit comme un modèle de la nature humaine placé devant nos yeux, il nous sera utile de conserver ces vocables dans le sens que j'ai dit. J'entendrai donc par bon dans ce qui va suivre, ce que nous avons dit avec certitude qui est un moyen de nous rapprocher de plus en plus du modèle de la nature humaine que nous proposons. Par mauvais, au contraire, ce que nous savons avec certitude qui nous empêche de reproduire ce modèle. Nous dirons, en outre, les hommes plus ou moins parfaits, suivant qu'ils se rapporcheront plus ou moins de ce même modèle. Il faut l'observer avant tout en effet, si je dis que quelqu'un passe d'une moindre à plus grande perfection, ou inversement, je n'entends point par là que d'une essence ou forme il se mue en une autre. Un cheval, par exemple, est détruit aussi bien s'il se mue en homme que s'il se mue en insecte ; c'est sa puissance d'agir, en tant qu'elle est ce qu'on entend par sa nature, que nous concevons comme accrue ou diminuée. » 

Spinoza, Ethique, trad. Appuhn (revue), GF-Flammarion, IVe partie, Préface

Qu'est-ce que le bonheur? Ethique à Nicomaque I.6 [1098a]

Cet extrait, que nous donnons toujours dans la traduction de soeur Pascale Nau, nous permettra de comprendre ce qu'Aristote entend par vie heureuse, et pourquoi celle-ci consiste précise à vivre selon la "vertu".


Mais l’identification du bonheur et du Bien Suprême apparaît sans doute comme une chose sur laquelle tout le monde est d’accord ; ce qu’on désire encore, c’est que nous disions plus clairement quelle est la nature du bonheur. On y arriverait peut-être, si on déterminait la fonction de l’homme. 


De même, en effet, que dans le cas d’un joueur de flûte, d’un statuaire, ou d’un artiste quelconque, et en général pour tous ceux qui ont une fonction ou une activité déterminée, c’est dans la fonction que réside, selon l’opinion commune, le bien, le « réussi », on peut penser qu’il en est ainsi pour l’homme, s’il est vrai qu’il y ait une certaine fonction spéciale à l’homme. Serait-il possible qu’un charpentier ou un cordonnier aient une fonction et une activité à exercer, mais que l’homme n’en ait aucune et que la nature l’ait dispensé de toute œuvre à accomplir ? Ou bien encore, de même qu’un oeil, une main, un pied et, d’une manière générale, chaque partie d’un corps, a manifestement une certaine fonction à remplir, ne doit-on pas admettre que l’homme a, lui aussi, en dehors de toutes ces activités particulières, une fonction déterminée ? Mais alors en quoi peut-elle consister ? Le simple fait de vivre est, de toute évidence, une chose que l’homme partage en commun même avec les végétaux ; or ce que nous recherchons, c’est ce qui est propre à l’homme. [1098a] Nous devons donc laisser de côté la vie de nutrition et la vie de croissance. Ensuite viendrait la vie sensitive ; mais celle-là encore apparaît commune avec le cheval, le bœuf et tous les animaux. Il reste enfin une certaine vie pratique de la partie rationnelle de l’âme − partie qui peut être envisagée, d’une part, au sens où elle est soumise à la raison, et, d’autre part, au sens où elle possède la raison et l’exercice de la pensée

L’expression vie rationnelle étant ainsi prise en un double sens, nous devons établir qu’il s’agit ici de la vie selon le point de vue de l’exercice, car c’est cette vie-là qui parait bien donner au terme son sens le plus plein. Or, s’il y a une fonction de l’homme consistant dans une activité de l’âme conforme à la raison, ou qui n’existe pas sans la raison, et si nous disons que cette fonction est génériquement la même chez un individu quelconque et chez un individu de mérite (ainsi, chez un cithariste et chez un bon cithariste, et ceci est vrai, d’une manière absolue, dans tous les cas), l’excellence due au mérite s’ajoutant à la fonction (car la fonction du cithariste est de jouer de la cithare, et celle du bon cithariste d’en bien jouer), si cela est vrai ; maintenant, si nous supposons que la fonction de l’homme consiste dans un certain genre de vie − c’est-à-dire dans une activité de l’âme et dans des actions accompagnées de raison −, si la fonction d’un homme vertueux est d’accomplir cette tâche, et de l’accomplir bien et avec succès, chaque chose au surplus étant bien accomplie quand elle l’est selon l’excellence qui lui est propre, dans ces conditions, c’est donc que le bien pour l’homme consiste en une activité de l’âme en accord avec la vertu et, au cas de pluralité de vertus, en accord avec la plus excellente et la plus parfaite d’entre elles. Mais il faut ajouter « et cela dans une vie accomplie jusqu’à son terme », car une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus un seul jour : et, pareillement, la félicité et le bonheur ne sont pas davantage l’œuvre d’une seule journée, ni d’un bref espace de temps.

Note

Le texte est pris dans la traduction de la soeur Pascale-Dominique NAU