Préjugé

Comment enseigner les Droits de l'Homme? Cinq mémoires sur l'Instruction publique

Dès 1791 Condorcet voyait le danger qui réside à célébrer les droits de l'homme sans les constituer en véritable objet d'instruction. Ils ne sont en effet pas un drapeau qu'on brandit, mais bien une toise qu'il s'agit d'apprendre à utiliser.

 

On a dit que l’enseignement de la constitution de chaque pays devait y faire partie de l’instruction nationale. Cela est vrai, sans doute, si on en parle comme d’un fait ; si l’on se contente de l’expliquer et de la développer ; si, en l’enseignant, on se borne à dire : telle est la constitution établie dans l’État et à laquelle tous les citoyens doivent se soumettre. Mais si on entend qu’il faut l’enseigner comme une doctrine conforme aux principes de la raison universelle ou exciter en sa faveur un aveugle enthousiasme qui rende les citoyens incapables de la juger ; si on leur dit : voilà ce que vous devez adorer et croire, alors c’est une chaîne que l’on prépare aux esprits, et on viole la liberté dans ses droits les plus sacrés sous prétexte d’apprendre à la chérir. Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacun devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison.

(…) D’ailleurs, on aurait soin, dans cette instruction, de rapporter aux droits de l’homme toutes les dispositions des lois, toutes les opérations administratives, comme tous les principes ; la déclaration des droits serait l’échelle commune à laquelle tout serait comparé, par laquelle tout serait mesuré. Dès lors, on n’aurait plus besoin de ces connaissances étendues, de ces réflexions profondes souvent nécessaires pour reconnaître l’intérêt commun sous mille intérêts opposés qui le déguisent. Ainsi, en ne parlantaux hommes que de ces droits communs à tous, dans l’exercice desquels toute violation de l’égalité est un crime, on ne leur parlera de leurs intérêts qu’en leur montrant leurs devoirs, et toute leçon politique en sera une de justice.