Raison

troisième partie / L'ordre philosophique : la question du paradoxe

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Nous avions pu d'abord lire dans les deux premiers livres une réflexion sur la justice en ce que, courant sur toutes les lèvres, et justifiant jusqu'aux paresses des uns et aux calculs des autres, son idée n'était pas seulement comprise par la plupart. Penser le juste en tant que tel supposait donc une émancipation des opinions intéressées qui nous le peignent d'une manière propice à nos intérêts. Concevoir une cité juste, et faire, en quelque sorte, le vaste détour par la législation et la réflexion politique, pouvait permettre de voir enfin clair.

C'est le parcours que nous avons suivi du milieu du Livre II à la fin du livre IV. Ce dernier culmine en effet dans la définition de la justice comme harmonie et équilibre, en la cité comme en l'âme, des grandes parties de chacune. L'injustice apparaît alors comme un trouble et un désordre qui exprime un mal intime. Comment croire alors l'injuste heureux, si son injustice est justement une maladie et une diminution de son être?

A ce point Socrate voudrait conclure par un tableau des vices de l'homme : anticipation des livres VIII à X, mais voici que les auditeurs, et Polémarque d'abord, l'arrêtent. Un pan de la cité parfaite reste dans l'ombre, un aspect du juste fait défaut : qu'en est-il en effet des femmes? et de la famille? et des chefs? Trois problèmes fondamentaux qui vont retarder toute conclusion et occuper les livres centraux (V à VII) que nous aborderons donc désormais.

A bien des égards, ces trois livres (V, VI, VII) constituent en effet un sommet de l'oeuvre platonicienne, par la qualité de leur composition et leur extraordinaire profondeur.

Un triple examen de la condition du philosophe : le paradoxe, l’image, l’éducation (Livre V-VII)

Ces livres centraux se structurent autour d’une double démarche, liées par une série d’images, qui permettent d’approcher la philosophie selon Platon : d’une part philosopher consiste à oser penser contre l’opinion, c’est-à-dire ne pas craindre le paradoxe ; d’autre part, philosopher implique une discipline intellectuelle qui vise en toute chose à comprendre le Bien, idée au principe de toutes les idées que seule la dialectique nous permet d’atteindre.

Si la philosophie commence donc dans le courage de s’affranchir du sens commun, et par suite de risquer de passer pour fou, elle ne saurait s’installer dans la provocation sans manquer son but. Il faut la patience d’une éducation méthodique, la patience d’un parcours et d’une formation de soi, pour passer du paradoxe à l’intelligence. C’est ce parcours que les trois images médianes (la ligne, le soleil et finalement la célèbre caverne) donnent à penser.

En ce sens l’éducation philosophique est aussi une odyssée, laquelle ne conduit pas en n’importe quel sens de l’obscurité à la lumière. Nous commencerons par le premier monstre rencontré sur la route, le “paradoxe” qui, dans le livre V a trois têtes…


Séance du 21 octobre 2010 : Qu’est-ce qu’un paradoxe?

La présente séance commencera par introduire au travail de l'année (la découverte des livre V à VII de la République de Platon) en rappelant quelques unes des idées développées lors des deux années précédentes du cours ; nous attacherons surtout du temps à la conclusion du livre IV et sur la thèse platonicienne de la justice comme équilibre et harmonie. Nous n'avions guère parlé en effet des pages sur la justice et l'injustice dans l'âme, qui faisaient le pendant des passages commentés en cours sur la cité juste.

Ces rappels faits, nous aborderons le début du livre V et la fine scène de discussion introductive où réapparaissent les autres personnages du dialogues (Polémarque et Thrasymaque) ; d'une question anodine sur les conceptions de Socrate concernant la famille va naître en effet les longs développements des livres centraux de l'oeuvre. Il va falloir comprendre le sens des réticences socratiques. Nous verrons qu'elles nous conduirons à méditer la question du paradoxe.

Qu'est-ce qu'un paradoxe? Pourquoi la pensée est-elle paradoxale? Comment ne pas tomber dans les vertiges des joutes paradoxales? La philosophie est-elle une affaire d'originaux? Voici quelques unes des questions que nous évoquerons pour reprendre le fil de cette lecture et de ces réflexions.

Nous conseillons donc la lecture du début du livre V (449a-451c) et pourquoi pas, la relecture du prélude du livre I.

Séance du 9 novembre 2010 : les hommes et les femmes

Nous abordons dans cette séance la première des thèses scandaleuses que Socrate avaient gardées pour lui jusque là, et que la curiosité de son public le contraint désormais à exposer. Nous allons donc, avec Platon, réfléchir à la question de l'égalité entre l'homme et la femme, telle qu'elle est traitée dans le livre V de la République(451a-457b)

Après avoir essayé de comprendre à quel niveau se situe le "scandale", nous reviendrons brièvement sur l'idée de paradoxe développée dans la séance précédente afin d'éclairer la question du rire et du ridicule qui revient plusieurs fois dans le passage.

Nous entrerons alors dans le vif du sujet en dégageant l'idée platonicienne : la répartition des tâches, dans une cité bien ordonnée, procède de la compétence seule : la différence des sexes n'a pas plus de sens, lorsqu'on cherche de bons gardiens et de bons chefs, que la différence entre les chauves et les chevelus.

Cette relégation revient à dissocier l'ordre politique de tout fondement "moral", et c'est là que réside la difficulté essentielle. Car Socrate impose à quiconque désire réellement penser l'utilité publique le dépassement de ses propres habitudes morales si elles contreviennent à l'ordre de la Raison.

Faut-il pour autant admettre absolument l'inanité de la partition sexuelle?


Séance du 9 décembre 2010 : un eugénisme platonicien ?

Nous abordons ici la "deuxième vague", le deuxième paradoxe, qui ouvre le livre V de la République. Après avoir défendu l'égalité des sexes dans la communautés des gardiens, Socrate s'attaque en effet à une idée encore plus délicate : la famille. La séance s'attachera à éclairer les arguments platoniciens, mais aussi à interroger plus largement l'idée de famille. Nous devrons donc évaluer ce qu'on a pu appeler l'eugénisme platonicien à l'aune du problème général posé par l'hérédité et l'institution familiale.


On se souvient d'abord que l'idée platonicienne d'égalité entre les sexes résultait moins d'une reconnaissance de l'égalité et de la dignité des individus (conception moderne au fond) mais dans l'indifférence de l'Etat à tout ce qui, dans les sujets, ne relève pas de leur utilité et de leur fonction sociale. Ce mépris de la République pour la singularité individuelle, Socrate le porte désormais un cran plus loin en ne regardant la famille que comme le lieu où s'élabore des citoyens. La communauté des femmes et des enfants sera donc proposé comme une "rationalisation" d'une production des plus importantes : la production d'êtres humains pour la République. Cette dernière apparaît à Socrate comme bien trop importante, trop décisive à la pérennité de l'Etat, pour la laisser à l'arbitraire des individus ou aux hasards des passions. L'exemple des croisements animaux laisse en outre penser qu'une attention scrupuleuse aux naissances pourrait permettre une amélioration sensible de la vertu des citoyens...

Faut-il prendre tout cela au sérieux? Faut-il se récrier de pareilles idées? Nous nous le demanderons en nous autorisant un détour final par Auguste Comte et l'eugénisme "moral" du Système de politique positive.


Séance du 2 février 2011 : le philosophe roi

Après l'égalité des sexes et la communauté des femmes et des enfants, nous voilà arrivés à la troisième vague du livre V, la fameuse affirmation de la nécessité du gouvernement des philosophes : “à moins que les philosophes ne deviennent rois dans l'Etat, ou que ceux que l'on appelle à présent rois et souverains ne deviennent de vrais et sérieux philosophes (...) il n' y aura pas de relâche aux maux qui désolent les Etats." (473d)

Il n'est pas aisé de comprendre toute la force et la profondeur de cette célèbre thèse, aussi est-il tentant de l'écarter de bien des manières. C'est qu'elle n'a pas au premier abord l'évidente incongruité de "l'eugénisme platonicien"; cette thèse va plutôt cheminer tout au long des livres centraux (VI et VII), à la manière d'un fleuve souterrain... et non d'un tsunami. Dès lors, et parce qu'elle pose au fond essentiellement un problème de lecture, il nous faudra avant tout être scrupuleux et s'autoriser quelques anticipations pour en prendre une juste mesure.

La présente séance consistera en une introduction générale au problème posé par la thèse du philosophe roi et aboutira dans la lecture de quelques pages du début du livre VI à partir desquelles pourront s'éclairer la fin du livre V. La prochaine séance dégagera alors la problématique du gouvernement des philosophes dans toute sa généralité.


Séance du 3 mars 2011 : le philosophe roi, suite et excursus autour de Léo Strauss

Que comprendre de la troisième vague du livre V, la célèbre affirmation de la nécessité de faire roi les philosophes, ou philosophes les rois, pour garantir la justice? Il y a bien là une boutade, faite pour irriter les ambitieux : le philosophe, dans ses nuées, n'est-il pas l'exact opposé de l'homme de ressources et d'expédients qu'ils se targuent d'être pour mériter les suffrages du peuple?

Mais il y a aussi un problème plus profond. Car par l'impossibilité même de l'hypothèse, Platon suggère la contradiction nécessaire de la philosophie et de la vie politique : ainsi nos cités seraient-elles condamnées à voguer sur les flots du mensonge et de l'erreur ; Bien plus, tous seraient intéressés à établir la vie politique sur l'illusion ; nous l'avions vu lors de la séance précédente.

Reste à comprendre encore la fatalité propre agissant contre la philosophie et lui interdisant de s'élever à sa dignité royale, quant elle ne se fourvoie pas dans des caricatures obscènes. Car les meilleures natures semblent destinées à se corrompre dans les sociétés imparfaites qui sont les nôtres : nous suivrons ainsi cette généalogie de la corruption (491a et suivantes)... La preuve par Alcibiade!

Ces réflexions pourraient alors nous conduire à lire quelque page de Léo Strauss (1899-1973), philosophe platonicien qui n'eût de cesse de méditer la difficulté de faire coexister l'exigence civile, qui va toujours à la bienséance et à l'opinion forcée, avec la vie philosophique, faite d'examen et de doute. La figure limite du philosophe roi nous semble alors une manière de lever un certain nombre d'illusions autour de l'idée de liberté d'expression, afin d'en, redécouvrir le prix.

Séance du 17 mars : fin du philosophe-roi, qu’est ce qu’un “vrai” philosophe?

Les deux séances précédentes nous ont permis de mieux cerner cette figure à la fois étrange et centrale qu'est le philosophe-roi dans l'oeuvre de Platon. Nous avons vu qu'elle était tout à la fois l'expression d'une critique de la politique des politiques, de celle des ambitieux, puisqu'elle en implique la négation, et la manifestation d'un scepticisme plus large à l'égard de la possibilité d'accorder la philosophie et la politique : l'une et l'autre semblent en effet constituer des pôles opposés, se repoussant nécessairement.

Peut-être une des manières de formuler tout cela serait de dire qu'il n'y a pas de philosophie politique, ou plutôt que la seule politique des philosophes consiste à se garder des menaces et des tentations du pouvoir en préservant l'espace du dialogue de ces passions. C'était sans doute, comme nous l'avons vu précédemment, la thèse de Leo Strauss, et de "l'art d'écrire" dont il a souhaité réveiller le souvenir.

Mais peut-être le vrai problème consiste-t-il à sa voir de quoi nous parlons quand nous parlons de philosophie. Car nous avons été averti : les philosophes ne doivent pas être jugés par ceux qui, parmi nous, s'affublent de ce nom : pour l'essentiel, ce ne sont que des caricatures grimaçantes, les résultats dégénérés d'une éducation non conforme à la nature philosophique. C'est donc que la philosophie ne nous est pas réellement connu, ses possibilités restent à penser, et ce sera justement l'objet de la suite du livre VI et du livre VII.

Dès lors, avant d'aborder l'éducation philosophique, nous proposons deux préludes, deux retours sur des questions évoquées en passant : nous traiterons d'abord des rapports entre philosophie et peuple, dans la lignée du commentaire de Léo Strauss ; puis nous reviendrons sur la distinction décisive, et un peu manquée dans mon commentaire, entre dispute et dialogue, éristique et dialectique.

Je m'excuse d'avance pour la qualité du fichier audio... J'étais assez mal en point en faisant le cours, et mes propos sont ainsi souvent interrompus par des quintes de toux!





Quatrième partie / L'ordre philosophique ou la question des images

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Les cours précédents ont été occupés par la question du paradoxe. Les trois "vagues", ces trois thèses formulées par Socrate à l'orée du livre V, relance en effet la réflexion en heurtant de front quelques préjugés communs. L’égalité des hommes et des femmes, la communauté des enfants, le gouvernement des philosophes…. voilà bien des idées étranges qui ne peuvent naître que dans la tête des philosophes!

Pourquoi le philosophe est-il donc nécessairement un homme de paradoxes? Est-ce par goût de l'originalité, volonté puérile de se faire remarquer en ne pensant pas comme tout le monde? Ou est-ce que méditant sur le réel, il découvre que les choses ne sont pas ce qu'elles sont? L'expérience de la philosophie est donc, pour Platon, une affaire de courage en un sens, et de persévérance : sommes-nous capables d'affronter la solitude associée à l'effort véritable de penser?

Cet isolement inévitable naît de l’objet même de la recherche philosophique. En s’interrogeant sur les principes là où l’opinion se suffit des usages, le philosophe vise à connaître et non plus à se faire comprendre de l’ignorant. Or que l’homme désire comprendre et en même temps s’enferme dans l’ignorance et le préjugé, c’est là un fait de nature. Il faut donc se représenter notre “condition” d’homme prisonnier de l’opinion, et pourtant désireux de s’affranchir d’elle dans nos pensées.

Pour ce faire, Platon va proposer trois images successives de notre situation dans le monde. Véritable cartographie de l’humanité, ces images (la section d’une ligne, le soleil et la célèbre caverne) culminent dans le récit d’une ascension hors du monde de l’opinion et de l’erreur, dont le trajet figuré anticipe le plan études concret qui doit rendre ce trajet possible, et qui sera abordé dans la cinquième partie du cours.

Cette section du cours couvre ainsi la seconde moitié du livre VI et le début du livre VII de la République pour se conclure dans trois séances de lecture de l’allégorie de la caverne. Elle s’est déroulée entre le printemps et l’hiver 2011, à cheval sur deux années d’enseignement de l’Université Conventionnelle. Nous les rassemblons en une même section de manière à faire sentir les trois registres de la partie centrale de l’oeuvre, comme afin de distinguer la série d’images du plan d’éducation auquel est consacré l’essentiel du livre VII (Cinquième partie).



Séance du 7 avril 2011 : le “grand détour” et l’idée du Bien

Ayant surmonté les trois vagues lancés par Socrate sur ses auditeurs (l'égalité des sexes, la communauté des femmes et le philosophe roi),nous sommes désormais à l'orée du coeur même de la République, c'est-à-dire de la méditation, et tout à la fois la défense, de la philosophie comme science et comme expérience humaine supérieure.

Car le philosophe ne se reconnaîtra qu'à la maîtrise du savoir au principe de tous les savoirs, de la valeur qui détermine toutes les valeurs : la philosophie est la connaissance du Bien. Non pas de quelques biens, ou des choses les plus utiles, mais de ce qui constitue toute utilité et par suite précède la pluralité des choses bonnes.

Mais peut-être ces formules ne font-elles qu'égarer. Elles pourraient en effet éloigner de la philosophie par leur emphase, ou décevoir ceux qui attendraient dès lors de la philosophie qu'elle leur ouvre le chemin du divin ou du bonheur. C'est que précisément nous ne savons pas ce que c'est que le Bien ; et si nous le savions, c'est que nous serions déjà philosophes... Par suite notre première difficulté, celle qui fera l'objet de cette séance, sera de bien comprendre la nature du problème.

Nous examinerons par la suite les trois célèbres images par lesquelles Socrate va représenter l'objet même de la philosophie.

La séance de ce jour portera principalement sur RépubliqueVI [502c-507c].


Séance du 12 mai 2011 : le soleil, image du Bien

Il n'est pas de connaissance réelle qui ne soit connaissance du bien ; c'est du moins ce qui ressort de la réflexion sur le philosophe roi qui avait clôt la série des trois "vagues" de la République, au livre VI. Que valent des vertus, en effet, si elles ne sont reconnues comme bonnes et désirables? Comment prétendre défendre une cité si on ne sait reconnaître, au-delà des habitudes et des traditions, les principes effectifs de sa vie et de sa conservation, c'est-à-dire ce qui la constitue comme un bien désirable?

Ainsi le philosophe se reconnaît-il à l'objet même de ses méditations : en toute chose il remonte au bien comme au principe fondamental. Seulement nous n'avons ainsi que déterminé un besoin et un lieu sur la carte des idées, nous ne savons guère qu'entendre par ce terme de "Bien". Aussi Socrate va-t-il nous guider maintenant dans l'intelligence de cette notion souveraine... mais ce sera pour décevoir tout de suite nos attentes. Le bien est en effet chose trop élevée pour être contemplé directement. Nous le saisirons mieux par le jeu de trois images, de trois analogies.

Après un premier préalable sur la notion d'analogie elle-même, où nous distinguerons l'analogue du semblable en passant par une page d'Alain,nous aborderons la première des trois images du Bien, celle du soleil. [506c-509d]

L'analogie entre l'intelligence et la vue n'est en effet pas qu'une puissante réflexion sur ce que c'est que comprendre, dont l'histoire de la philosophie développera sous différents aspects toute la force, elle est aussi la matrice d'une poésie élémentaire fondatrice : celle de la lumière comme force de vie et de pensée.



Séance du 26 mai 2011 : la ligne

Nous abordons maintenant la lecture d'une page célèbre et difficile : celle concluant le livre VI de la République. L'image de la section d'une ligne vient en effet compléter l'analogie établie plus tôt entre le soleil et le bien ; elle permet d'expliciter la hiérarchie des différents objets donnés à l'attention que nous retrouverons plus loin dans l'allégorie de la caverne.

Nous verrons que ce résumé dense et riche de la pensée platonicienne contient toutefois une méditation profonde sur la notion de signe et d'image qui porte plus loin qu'une simple analyse technique de psychologie rationnelle. L'échelle platonicienne pourrait en effet nous permettre de comprendre pourquoi il est si difficile de se comprendre.

Si la pratique de la philosophie est en effet voué au paradoxe, c'est peut-être moins par l'étrangeté native du philosophe, qui n'est en rien un gourou ou un original, mais d'abord parce que conduisant nos idées en des voies différentes, les mêmes objets ne cessent de nous apparaître suivant des perspectives étrangères. Aussi croyons nous parler des mêmes choses, ou espérons-nous justement que les faits nous départagerons, alors qu'il faudrait accepter, par la patience dialectique et la philosophie même, que la seule compréhension réelle qui puisse exister suppose l'accord des esprits sur le bien, et les plus hautes idées. Tout le reste est jeu de miroir qui ne cesse de renvoyer à autre chose. Aussi nous perdons-nous toujours dans les reflets.

Le malentendu, toujours renaissant, tiendrait donc de l'absence de dialogue ; mais en un sens plus élevé qu'on ne le dit habituellement. Car la parole échangé ne suffit pas : c'est l'absence de philosophie qui rend inutile tout essai d'explication en nous vouant aux faux-semblants. Ce que dit autrement l'ironie socratique.



Séance du 3 novembre 2011 : la caverne

Elle se proposera plus directement de lire et de commenter ensemble une page célèbre de la littérature platonicienne, et peut-être la plus célèbre : l'allégorie de la caverne.Si l'image est bien connue, son sens n'est pas toujours aisé à établir ; s'y croisent des questions propres à l'unité de l'oeuvre, mais aussi une réflexion plus large sur le sens de la connaissance et la valeur du savoir. D'une part en effet la caverne vient résumer et compléter les deux images précédentes au travers desquelles Socrate se proposait de penser le Bien, c'est-à-dire l'objet propre de l'étude philosophique. La caverne apparaît alors comme une synthèse de l'image du soleil, et de la section géométrique de la ligne.; d'autre part elle présente l'accès à la compréhension sous la forme d'un parcours initiatique qui est aussi un drame politique, puisqu'il s'achève sur l'assassinat inévitable du philosophe par les prisonniers.

Parabole d'une éducation et figure du problème politique, la caverne est ainsi un concentré de la pensée de Platon. C'est en cela une bonne entrée en matière pour qui veut la découvrir, comme un carrefour où des lecteurs plus expérimentés ne cessent d'avoir à repasser.



Séance du 17 novembre 2011 : la caverne, suite

La séance précédente nous a permis de travailler l'allégorie de la caverne du point de vue de sa "topographie", et en particulier de réfléchir sur la condition des "prisonniers". Cette nouvelle séance sera consacrée à la question des "marionnettistes", de leur silence, de leur parole, et du feu qui les éclaire, dont nous dirons quelques mots. Nous achèverons ce commentaire par une réflexion sur le sens de l'ascension du philosophe hors de la caverne, et en particulier sur la difficulté, le caractère contraint et violent de cette "libération".

Ayant ainsi caractérisé les différents éléments de l'allégorie, nous pourrons la rattacher à sa fonction dans l'ouvrage : d'une part la caverne résume en effet la question politique du rapport entre la philosophie et la politique, d'autre part elle prépare et annonce la grande réflexion sur l'éducation qui domine le livre VII.

Notre réflexion sur la nature et le rôle des "faiseurs de prestiges" qui animent le théâtre d'ombres de la caverne, et en particulier sur ceux qui parlent, nous conduira à lire et à commenter cette page admirable du Gorgias (456b-456d) :

GORGIAS : —Que dirais‑tu, si tu savais tout, si tu savais qu’elle embrasse pour ainsi dire en elle-même toutes les puis­sances. Je vais t’en donner une preuve frappante. J’ai souvent accompagné mon frère et d’autres médecins chez quelqu’un de leurs malades qui refusait de boire une potion ou de se laisser amputer ou cautériser par le médecin. Or tandis que celui-ci n’arrivait pas à les persuader, je l’ai fait, moi, sans autre art que la rhétorique. Qu’un orateur et un médecin se rendent dans la ville que tu voudras, s’il faut discuter dans l’assemblée du peuple ou dans quelque autre réunion pour décider lequel des deux doit être élu comme médecin, j’affirme que le médecin ne comptera pour rien et que l’orateur sera préféré, s’il le veut. Et quel que soit l’artisan avec lequel il sera en concurrence, l’orateur se fera choisir préféra­blement à tout autre ; car il n’est pas de sujet sur lequel l’homme habile à parler ne parle devant la foule d’une manière plus persuasive que n’importe quel artisan. Telle est la puissance et la nature de la rhétorique.



Séance du 1er décembre 2011 : sortir de la caverne

La présente séance achèvera le commentaire de l'allégorie de la caverne commencé avec le nouveau cycle de cours.

On se proposera essentiellement d'y comprendre pourquoi la libération du prisonnier se donne sous la forme d'une contrainte et presque d'une violence faite à soi. Ce sera ainsi l'occasion de réfléchir sur l'éducation et sur l'idée de discipline.

Reprenant toutefois ce que nous avons pu dire de la rhétorique et des "montreurs de prestiges" animant le spectacle au sein de la caverne, on méditera aussi sur le sens politique de cette allégorie. Dans quelle mesure en effet l'instruction véritable est-elle irréductible à l'adaptation sociale? Et que faire d'un savoir alors d'un savoir qui rendrait étranger à ses concitoyens celui qui est instruit?

Enfin, nous conclurons sur le sens qu'il convient à donner à la "doxa", cette opinion qui tout à la fois domine nos pensées et oriente notre regard sur les choses humaines, nous interdisant de les mesurer et de les relativiser à l'aune du spectacle du monde.



Séance du 15 Décembre 2011 : Retourner ou non dans la caverne?

La séance précédente est venue clore notre commentaire de la célèbre allégorie de la caverne. Conçue pour rendre compte de notre condition sous le rapport de l'ignorance et du savoir, elle définit en effet l'instruction comme une certaine manière de détourner son regard du monde de l'opinion, de la doxa.

Cette "conversion" suppose toutefois la permanence d'un désir et d'une passion qui définit le philosophe en propre, et le détourne des affaires publiques. C’est dire qu’une éducation philosophique ne se réduit nullement à un cursus de disciplines, même bien conçu. Les meilleurs formations avortent en effet si les élèves ne se tournent pas avec passion vers leur objet d’études.

Dès lors, l’éducation des philosophes suppose l’existence d’un amour du savoir qui distingue et signale l’apprenti. Mais si cette passion est nécessaire au philosophe-roi, comment peut-elle se combiner avec al passion politique, nécessaire au gouvernant? Il y a un problème fondamental dans le discours de Socrate : ce qui est nécessaire au vrai roi l’empêche de s’intéresser à la cité, règne de la confusion et de la doxa. Comment dans ces conditions convaincre les philosophes à gouverner?

Sous l'apparent paradoxe de la réponse de Socrate ("il faudra les contraindre à règner"), on pourra voir une invitation à réfléchir sur la passion politique et sur l'ambition. Il est sans doute en effet de toute nécessité de s'interroger sur les fondements de l'engagement : pourquoi se soucier du monde comme il va, et plus précisément, pourquoi penser que son bonheur dépend de notre capacité à exercer un pouvoir quelconque? Il faudrait s'attacher à distinguer l'arrivisme de la noble ambition.

Ce sera aussi comprendre que toute représentation de notre condition culmine nécessairement dans une réflexion politique : quelle part vaut-il en effet la peine de prendre dans le tumulte du monde? Et à quoi bon retourner dans la caverne quand on pourrait aussi bien mener la vie contemplative du philosophe?










3. La question religieuse (§6-8)

Kant aborde ici le religieux comme ordre des grandeurs et des principes réglant l’estime et la valeur des hommes. La force du christianisme a été de suggérer que les premiers dans l’ordre de la nature pouvaient bien être les derniers dans l’ordre de la Grâce ; il y a liberté quand la société cesse d’être homogène, mais laisse vivre un dédoublement des « valeurs ». La critique des principes religieux, leurs dissociations de simples préjugés communautaires et politiques est donc essentielle à la liberté commune, même si les clergés s’en défieront toujours.