Anarchisme

Billets de Gédione

Ces dix neuf petits propos – signés Gédione, anagramme de Diogène – ont été écrits, entre 1958 et 1960, pour le journal anarchiste, Liberté, mensuel « social, pacifiste et libertaire ». Louis Lecoin en était le directeur – qui obtint en 1963, après une grève de la faim (il avait alors 74 ans), que soit promulgué un statut d’objecteur de conscience.

On notera que ce militantisme n’a pas empêché Jacques Muglioni d’être nommé Inspecteur général cette même année : il arrivait alors au pouvoir exécutif de ne pas subordonner les nominations de fonctionnaires à des critères politiques. On lira à ce propos l’article écrit probablement après 1981 : « L’arbitraire des nominations ».

À l’exception de « Violence ! », ces propos ont tous été inclus dans L’école ou le loisir de penser (CNDP, 1993). Ils n’ont pas été conservés pour la seconde édition (Minerve, 2007), excepté «Les vandales ».

Nous les classons ici par ordre chronologique. 

Liste des billets

1. Violence ! – 21 février 1958.

2. Un combat et une histoire – 7 mars 1958.

3. Intelligence et politique – 28 mars 1958.

4. Les vandales – 18 avril 1958.

5. L’esprit confus – 9 mai 1958.

6. La Prudence – 30 mai 1958.

7. Platon – 20 juin 1958.

8. La liberté – 11 juillet 1958.

9. Les vacances – 22 août 1958.

10. Le droit à l’erreur – 17 octobre 1958.

11. La paix perpétuelle – 12 décembre 1958.

12. Semblables ! – 23 janvier 1959.

13. D’abord décréter l’homme– 15 mai 1959.

14. Esclave et citoyen – 15 juin 1959.

15. Religion – 15 août 1959.

16. Le vrai péril – 1er novembre 1959.

17. École et religion – 1er janvier 1960.

18. Le sens des mots – 1er mars 1960.

19. Ironie, vraie liberté – 1er juin 1960.

La liberté

Billet n°7 – 11 juillet 1958. Version pdf

Le citoyen contre les pouvoirs, soit ! Encore faut-il qu’il y ait des pouvoirs. L’anarchie ? Si l’on veut, car « parfois un beau désordre est quelque effet de l’art ». Mais sans art, c’est-à-dire sans volonté directrice, il n’est ni œuvre ni société. Par exemple, un gouvernement faible ne peut pas garantir la liberté des citoyens : ou bien il a peur de cette liberté, ou bien il n’a pas les moyens de briser les forces qui la combattent. De même il est incapable d’une action généreuse : ses ennemis y verraient un signe de faiblesse.

Mais ceux qui parlent avant de penser continuent de vouloir une démocratie sans tête. Car ils croient que les pieds iront où ils doivent aller. Or dix mille pieds font du bruit et courent en tous sens, soit par peur, soit par colère ; ils ne font pas un peuple. Mais ils feront aisément une armée pour peu qu’une musique leur impose sa fière cadence. Rien n’est plus près du désordre « anarchique » que l’ordre militaire. Marcher au pas n’est qu’une habitude des pieds et comme une règle de ne pas penser. Un peuple c’est autre chose : il lui faut des citoyens, non pas des soldats. Or un citoyen est un homme qui veut un ordre universel, c’est-à-dire un ordre qu’il puisse concevoir et le seul auquel il puisse consentir.

Il reste à dire qu’un homme n’est libre, lorsqu’il obéit, que s’il sait d’abord se gouverner lui-même. S’il veut être un parti à lui seul, il n’a plus d’autre recours que la révolte. S’il résiste au pouvoir sans être capable de l’exercer à son tour, il ne mérite pas le nom de citoyen. La paix elle-même, comme l’a montré Kant, est une règle d’obéissance à laquelle les nations décident de se conformer. Or chacun peut savoir aujourd’hui que les peuples les mieux gouvernés, c’est-à-dire les plus libres, sont ceux qui ont le plus petit nombre de partis, qui désignent un homme pour diriger les affaires, qui obéissent aux lois, mais dont le jugement est impitoyable le jour venu. Donc la démocratie n’est réelle que si le peuple s’est mis en mesure de prendre des décisions et d’en assurer l’exécution. Mais cette liberté est trop difficile pour ceux qui veulent avoir raison tout de suite et qui ne supportent pas d’attendre. Ces défenseurs de la liberté montrent enfin leur vrai visage quand ils cèdent à la tyrannie qu’ils ont rendue fatale. Il n’y a pas, alors, de valets plus serviles ni de partisans plus fanatiques. Il n’y a plus de peuple, mais seulement une troupe qui passe.

Proudhon, Justice et liberté

En 1962, Jacques Muglioni fait paraître aux Presses universitaires de France un recueil de textes choisis du penseur socialiste français, Pierre-Joseph Proudhon. Cette anthologie est divisée en quatre partie traitant successivement des causes de l’oppression, de la liberté, du travail et enfin de la justice, quatrième partie qui fait l’objet d’une édition électronique sur le site des classiques des sciences sociales.

Si ce travail d’éditeur manifeste la grande familiarité de Jacques Muglioni avec la pensée du père de l’anarchisme, il permet également d’approfondir les racines libertaires du combat, indissolublement intellectuel et politique pour la véritable liberté de pensée du futur doyen de l’inspection générale de philosophie. Cet extrait des Confessions d’un révolutionnaires (1849), repris dans la seconde partie de l’anthologie, l’illustre.

Ironie, vraie liberté !

C'est toi qui me délivres de l'ambition du pouvoir, de la servitude des partis, du respect de la routine, du pédantisme de la science, de l'admiration des grands personnages, des mystifications de la politique, du fanatisme des réformateurs, de la superstition de ce grand univers et de l'adoration de moi-même. Tu te révélas jadis au sage sur le trône quand il s'écria, à la vue de ce monde où il figurait comme un demi dieu : Vanités des vanités ! Tu fus le démon familier du philosophe quand il démasque du même coup et le dogmatique, et le sophiste, et l'hypocrite, et l'athée, et l'épicurien, et le cynique; tu consolas le Juste expirant quand, il pria sur la croix pour ces bourreaux : "Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent pas ce qu'ils font".

Pierre-Joseph Proudhon, Confession d'un révolutionnaire, 1849.