Billet n°2 – 28 mars 1958. Version pdf.
La politique ne vaut pas une heure de peine : c’est l’opinion, je veux dire le pressentiment, de la plupart. Et il est vrai que la politique n’est pas un spectacle qui réjouit, quand on le contemple du dehors. Lorsqu’on a soi-même été mêlé à la vie des partis à l’heure des grandes espérances, on découvre que des anciens compagnons les médiocres seuls ou presque sont restés dans l’arène. Les autres avaient un métier ou une vie privée qu’ils ont préféré dès qu’ils ont dû choisir. Les réunions ou les assemblées offrent un dernier refuge à celui qui ne peut pas supporter la discipline du travail ou qui a échoué dans ses entreprises personnelles. Une psychanalyse de l’homme politique montrerait que l’ambition ou plutôt l’arrivisme est la recherche d’une compensation aux échecs de la vie, et je crois volontiers qu’il y a du malheur dans beaucoup d’âmes militantes.
On comprendrait par là la solitude des assemblées et des bureaux qui ne veulent rien devoir à ceux qui sont restés au travail et à l’étude. D’où vient que la haine de l’intelligence qui caractérisait naguère les partis de droite s’est étendue jusqu’à la gauche. Et l’incroyable sottise de notre politique n’a pas d’autre cause. L’intelligence découragée déserte la tribune, le journal, le syndicat, le parti ; elle abandonne la chose publique aux moins doués, à ceux qui comptent sur la lassitude des citoyens pour s’approprier la république. Car ils n’ont d’autre espérance qu’une place encore chaude dans l’écurie de César.
D’autres époques furent mieux secourues que la nôtre, où il n’était pas nécessaire de choisir entre la politique et l’intelligence. Cette alternative dramatique promet des lendemains obscurs si les citoyens se laissent émouvoir longtemps encore par les jeux du cirque. Platon annonce le passage de la démocratie déréglée, gouvernement des médiocres, à la tyrannie, régime de terreur. Car pour gouverner les sots, il ne faut pas moins que la peur et le crime. Nous ne sommes pas loin du compte si l’intelligence tarde encore à remplir son devoir politique qui est de réapprendre aux hommes le goût de la vérité et le sens de l’indignation.