La société et ses exigences actuelles prennent l'école d'assaut


Ce court texte a été publié dans
Informations ouvrières n°1454, semaine du 31 janvier au 7 février 1990 dans une page consacré au « meeting pour la défense de la laïcité du 25 janvier », sous-titré « Le renouveau de l’école républicaine est à l’ordre du jour ». Cette page, après une courte introduction (auteur inconnu), présente des extraits des interventions des différents orateurs.

Nous présentons ci-dessous l’introduction et l’extrait de l’intervention de Jacques Muglioni.


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Faisant suite aux attaques répétées contre la laïcité de ces derniers mois, des centaines de militants, de démocrates, d’enseignants, des personnalités, telles que Catherine Kintzler, professeur, auteur notamment de « Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen », D. Salamand, professeur, J. Muglioni, inspecteur général honoraire de l’instruction publique, Alexandre Hébert, syndicaliste, président de la Fédération des cercles de défense laïque, Gérard Plantiveau, professeur à Nantes, ont lancé un appel commun dans lequel ils réaffirment : « Sous le terme rituel "d’encyclopédisme" qu’il est bon de fustiger, sous le mot magique "d’allégement des programmes", c’est tout simplement le savoir qui est visé. Alléger les enseignements qui ne répondent pas aux besoins directs de l’économie, rendre facultatifs ceux qui coûtent trop cher, c’est non seulement s’en prendre à des pans entiers de la culture, mais aussi demander à l’école de devenir un instrument d’asservissement et d’adaptation sociale. »

Au moment même où le meeting se tenait sur la base de cet appel, le journal Le Monde faisait savoir la mise en place d’une commission nationale de refonte des programmes dans laquelle participeraient en tant que tels des entrepreneurs et des personnalités extérieures.

Voilà le véritable enjeu de la question laïque, voilà le véritable enjeu de l’œuvre de destruction de l’instruction publique poursuivie depuis vingt ans contre l’école publique.


Intervention de Jacques Muglioni

Au siècle dernier s’opposent deux conceptions de l’école. La première lui assigne pour fin d’entretenir les sentiments favorables à la conservation de l’ordre existant, des intérêts, des privilèges, des inégalités. La seconde veut que, par les lumières, on se tourne résolument vers le progrès. Se combattent ainsi d’un côté les tenants de l’éducation religieuse, morale, sociale, inquiète de gouverner les âmes, et, de l’autre, les militants de l’instruction qui, s’adressant à l’intelligence, visent à libérer les jugements. Telle est l’essence première d’un titre aujourd’hui usurpé : l’École libératrice.

Tant qu’elle se veut fondatrice, gardienne de l’école, la République voit en elle l’institution du souverain, le lieu inviolable et sacré où s’instruisent les citoyens, le foyer qui éclaire les esprits pour les rendre libres. Objet d’une volonté politique pure, l’école reste indépendante de la société civile, c’est-à-dire de l’argent, des intérêts, des préférences, des croyances. Tel est alors dans toute son étendue le principe de laïcité. L’école n’est pas l’ouverture au sens de la mode, mais la séparation. Préserver ainsi l’indépendance de l’école, c’est préparer l’avenir et le préserver. Il est entendu que l’on sortira de l’école instruit et assez fort pour affronter un autre monde qui n’est pas toujours conforme à la raison. L’école se propose ainsi le contraire de l’adaptation, elle veut être le lieu où l’on apprend à être lucide et libre par rapport à la société, à ses préjugés, à ses injustices, le lieu d’où l’on peut s’exercer librement à la juger pour la changer quand il le faut.

Et maintenant ? Et bien maintenant, l’idée républicaine est complètement renversée. La société, telle qu’elle est, prend d’assaut l’école, lui impose ses intérêts, ses passions, ses modes. La spontanéité, l’humeur arbitraire déconsidèrent le travail studieux, la tyrannie du groupe ridiculise la rigueur et l’indépendance personnelle, la modernité saisonnière supplante le savoir et la beauté consacrée par le temps. L’école n’est plus faite pour placer la société à distance d’elle-même, c’est la société qui la façonne à son image pour écarter ainsi tout risque de contestation. Vous le savez, ce renversement altère jusqu’au contenu des enseignements (...).

Sociologues et pédagogues s’attachent à détruire dans l’école ce qui contredit leurs théories. On affaiblit l’école pour donner raison à la société. Et puis, sous prétexte de réduire les inégalités d’origine sociale, on refuse de reconnaître la réussite du travail personnel et du talent. Les premiers de la classe actuellement au pouvoir ne veulent plus que désormais il y ait des premiers dans la classe. Comme cela, ils resteront les derniers premiers (...).