Compte rendu fait pour l’Éducation nationale.
Huisman (Denis) – Encyclopédie de la psychologie. Préface du professeur Jean Delay. – P., F. Nathan, 1962. – 2 vol., 31 x 25,5, 510 p., ill., en coul., ill, h. t. rel. sous jaq. ill. 150
Dans une courte préface, le professeur Delay souligne le caractère fatalement disparate des études réunies dans cette « encyclopédie », et il conclut : « On imagine avec quelle curiosité le jeune homme de 1848 qui dans l’Avenir de la science appelait de ses vœux la promotion de la psychologie, étudierait le bilan résumé un siècle plus tard dans une encyclopédie de six cents pages. Sans doute l’humour naturel à ce Celte trouverait-il parfois matière à s’exercer devant les ambitions d’un "psychodrame" ou d’un "brainstorming", mais l’évocation d’une telle somme de savoirs ou de pouvoirs lui paraîtrait d’heureux présage pour l’édification de la cité future ». On peut être moins optimiste. Certes, le nombre des auteurs qui ont contribué à cet ouvrage est considérable ; certains d’entre eux sont connus dans leur spécialité ; et l’effort de présentation ne peut passer inaperçu. Mais d’une part les lecteurs avisés trouveront une mince nourriture dans un recueil qui ne peut viser plus haut que la vulgarisation ; d’autre part, le public risque de tirer peu de profit de tant de techniques et de doctrines accumulées, car elles l’instruiront moins qu’elles ne flatteront son préjugé naïvement favorable à tout ce qui a reçu un vêtement scientifique.
Le tome premier expose les étapes de la psychologie, ses domaines, ses grandes fonctions, ses grands problèmes, sa genèse et enfin ses zones d’influence. Le tome second est consacré aux applications. S’il est vrai que « la psychologie est la science de l’action au service de l’action », il est naturel qu’une « encyclopédie » qui prétend rassembler les principaux résultats obtenus par les spécialistes, s’adresse à un large public, notamment aux chefs d’entreprise et plus généralement à tous ceux qui, dans l’exercice de leur métier, ont affaire avec l’homme. Ce livre est donc chargé de faire apparaître l’importance croissante de la psychologie dans les activités les plus diverses de la vie sociale, donc son extension, mais aussi la variété de ses techniques et sa prétention d’avoir une efficacité comparable, dans son propre domaine, à celle des autres sciences appliquées. D’où une revue générale des problèmes auxquels l’opinion a déjà été sensibilisée. Par exemple, sous la rubrique de l’éducation, sont abordées les questions de l’orientation professionnelle, du dessin chez l’enfant, de la rééducation, des troubles de la lecture, de l’éducation sexuelle, de la délinquance juvénile, etc.
Il est fort possible que cet inventaire présente quelque attrait pour les lecteurs auxquels il est destiné. Toutefois, si quelques spécialistes résument ce qu’ils croient savoir ou savoir faire, ils occupent une position inconfortable dans un ensemble hétéroclite et très inégal. Tandis que les affirmations précises ont l’aspect dogmatique et décevant de tous les abrégés, plusieurs chapitres sont visiblement improvisés et ne dépassent guère le niveau des magazines illustrés. La psychanalyse et la phénoménologie, pour ne citer qu’elles, font l’objet d’exposés multiples et prennent ainsi plusieurs visages. La philosophie est traitée avec désinvolture : par exemple Aristote est rangé, avec tous les Grecs, parmi les primitifs ! L’ouvrage s’achève généreusement sur une bibliographie, un glossaire, un index commenté des principaux psychologues et un curriculum vitæ avec photographie des auteurs. Mais la définition de certains termes philosophiques et le résumé de quelques grandes doctrines ne vont pas parfois sans inquiéter le lecteur un peu informé. Il est vrai qu’on vise moins à cultiver qu’à distraire et à flatter, par les moyens les plus courts, la curiosité. Il peut être rassurant d’espérer que le lecteur regarde surtout cette « encyclopédie » comme un livre d’images, fait pour être feuilleté plutôt que pour être lu. Car le luxe des illustrations donne à ces deux volumes une valeur commerciale certaine au siècle du cinéma et de la télévision. Mais on ne voit pas que ces photographies, même bien faites, soient de nature à éclairer les problèmes posés et à éveiller un public qui ne succombe que trop volontiers à l’hypnose de l’image quelconque. Au moins peut-on souhaiter que l’acheteur imprudent et sans défense renonce à l’effort de lire des légendes où le contresens le plus agressif le dispute à la platitude. Par exemple, on trouve, sous une image de restaurant, ce commentaire : « Tout pour la tripe ! tel était le cri de guerre de Rabelais... C’est en ce sens que l’on peut interpréter la formule spinoziste : l’appétit est l’essence même de l’homme. » Sans doute Spinoza en a-t-il vu d’autres, et il n’est pas, hélas ! la seule victime. Mais faut-il s’esclaffer ou s’indigner, quand on rencontre, sous le sceau du savoir, des sottises dignes de la foire aux cancres ?