L’enseignement philosophique en classe terminale et la tradition française de l’instruction publique

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A la différence de disciplines qui d’année en année prennent leur propre suite selon les niveaux de difficulté ou l’extension des connaissances, par exemple les mathématiques ou l’histoire, l’enseignement philosophique initial suppose deux conditions. Il doit d’abord s’adresser à des élèves capables de maîtriser la langue française et assez instruits dans les sciences comme dans les lettres, sans quoi il se dévalue fatalement en séances d’imprégnation et de bavardage vouées au déballage d’opinions aléatoires. Il lui faut, en outre, disposer d’un horaire hebdomadaire qui garantisse une continuité et une intensité suffisante de réflexion.

Ces deux conditions sont loin d’être remplies. La première l’est de moins en moins à cause de la dégradation générale des études primaires et secondaires. L’ignorance scientifique d’un grand nombre d’élèves rend plus difficile un enseignement qui ne peut éluder les questions relatives à la connaissance, à ses méthodes, à sa valeur. Plus encore une certaine indigence littéraire prive cet enseignement d’une assise que la philosophie dans son histoire a toujours tenue pour essentielle. Enfin et surtout l’incapacité de lire vraiment, de lire des livres, ou d’écrire vraiment, de mettre en ordre quelques idées simples, pourrait conduire l’enseignement philosophique à des adaptations dérisoires. Le professeur qui ne renonce pas aux exigences de sa discipline se voit parfois obligé d’enseigner les éléments de la grammaire ou de faire des leçons de vocabulaire, ce qui alourdit ses tâches dans les limites étroites de son horaire. Serait-il intempestif de se demander ce que deviendrait la philosophie dans une école qui aurait renoncé à enseigner les éléments de la langue et de la culture ?

L’immense majorité des professeurs de philosophie ressentent avec amertume ces difficultés. Ils ont moins que d’autres été séduits par des innovations pédagogiques dont ils sont les mieux placés pour apprécier les résultats. Aussi ne voient-ils pas le remède à cette situation dans l’extension de la philosophie en amont de la terminale. Ce qui manque à leurs élèves, ce n’est pas la culture philosophique, mais la culture tout court. Diluer leur enseignement en plusieurs années aggraverait leurs charges et affadirait leur discipline au détriment des élèves.

La classe de philosophie n’est pas faite pour recruter des philosophes. Elle a pour fin d’offrir aux élèves qui achèvent leurs études au lycée l’occasion de s’élever à une vue d’ensemble afin d’unifier, d’approfondir leur culture, de s’exercer, au moins une fois en leur vie, à élucider les idées considérées en elles-mêmes. Donnant ainsi tout son sens à l’enseignement secondaire en France, elle prépare en outre aux études philosophiques dispensées dans les Grandes Écoles ou l’université.

Le moment de l’enseignement philosophique ne peut donc pas être quelconque. Il se situe au terme des études secondaires, qui peuvent certes se suffire à elles-mêmes, qui peuvent aussi servir de préparation générale pour des études plus approfondies et spécialisées. Cet enseignement doit donc se rassembler en un seul moment, l’année terminale au lycée. L’originalité de cette institution comparée à celle de la plupart des pays occidentaux ne signifie pas qu’elle doive être emportée par le torrent des réformes. Elle doit au contraire être fortifiée par des horaires appropriés.

29 mai 1993