Philosophie et fantastique

750w.jpeg

Le fantastique semble constituer un genre mineur et à part dans la littérature. D'abord par le format : il y a peu d'œuvre fantastique volumineuse et formant en même temps une unité. Il a peu, à la lettre, de grands romans fantastique – même si l'on pense à Bram Stoker ou à Stephen King. Les sagas et les récits légendaires, qu'ils soient mythologiques ou contemporains, appartiennent plutôt au registre du merveilleux. Le fantastique paraît plus adapté à la nouvelle ou au conte, comme s'il était par essence voué à la simple évocation dans la brièveté. 

Ensuite, le fantastique paraît très difficile à délimiter en tant que genre. On peut considérer qu'un récit devient fantastique quand il introduit, dans un contexte quotidien et coutumier, un événementinexpliqué. Mais il bascule dans le merveilleux lorsque l'inexplicable devient la norme, et que l'on se retrouve dans un monde différent, où la magie règne comme si elle était la règle. Et si jamais l'événement inexpliqué reçoit une explication, comme dans une enquête policière, le récit cesse d'être fantastique pour redevenir réaliste : le monde tel que nous le connaissons est sauvé, avec ses règles et ses lois habituelles. Pour que le fantastique demeure fantastique, il faut donc que l'inexpliqué demeure inexplicable, et ne cesse d'insister en tant que question. 


On pressent alors qu'il existe un rapport profond entre le fantastique et la philosophie, entre le fantastique et la pensée en général. Car si l'activité philosophique consiste essentiellement en une interrogation, le genre fantastique a pour vocation de provoquer cette interrogation dans la pensée même, et de mettre celle-ci en éveil. Le fantastique place la pensée à la fois face sa propre limite et face à ce qui provoque son exercice – l'événement inexpliqué. Et dans le même temps, il dresse devant la pensée un obstacle qui met en question son intégrité. Car s'il existe de l'inexplicable comme tel, la pensée est menacée non seulement de l'extérieur par une question sans réponse, mais de l'intérieur par sa propre dissolution dans la folie. Combien de narrateurs, dans les récits de Poe ou de Lovecraft, commencent un récit en se rassurant sur le témoignage de leurs sens et sur les conclusions de leur raison, avant d'en douter et de craindre de basculer dans la démence ? Nous pensons qu'il y a là davantage qu'un procédé dramatique destiné à susciter l'attention du lecteur. Le fantastique semble interroger ce qui constitue et définit la raison humaine. 


Les trois séances de ce cours ont été dispensées au printemps 2015, dans le cadre de l4université Conventionnelle ; elles sont disponibles à l’écoute sur une liste de lecture en ligne. Attention, seules deux ont été enregistrées effectivement.