Spinoza

La pensée du corps

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Notre objectif, pour cette année, est de poser et d'approfondir un problème philosophique : celui des rapports entre l' « âme » et le « corps ». Nous utilisons des guillemets, car ces deux termes ont des significations relativement flottantes, sédimentées aussi bien dans la langue commune que dans le vocabulaire religieux – sans parler de tous les sens qu'ils prennent dans la langue philosophique.

Nous voudrions, dans un premier temps, laisser de côté ces multiples significations et tenter de poser, pour notre propre compte, un problème. En effet, le travail de la philosophie ne peut s'exercer qu'à partir du moment où la pensée se trouve confrontée à une question – c'est à dire à une inconnue qui la force à penser. Une telle question ne concerne pas les moyens d'atteindre un but, comme c'est le cas pour les questions techniques. Elle interroge plutôt la nature ou l'essence d'une chose – cette chose étant suffisamment donnée pour que l'on puisse percevoir son existence, sans que pour autant son essence soit entièrement comprise. 

Le corps constitue, en lui-même, une telle question. En effet, l'expérience du corps est foncièrement paradoxale : elle est la perception de quelque chose qui paraît tantôt faire partie de moi (dans l'activité ou la santé) au point qu'on en oublierait l'existence, tantôt se rebeller contre moi (dans la fatigue ou la maladie). Le corps se situe dans la limite entre ce que je suis et ce que je ne suis pas : il porte en lui un reste qui interroge la pensée et la conduit à questionner sa nature. 

Note sur le cours

Cette atelier de philosophie  comporte 7 séances qui se sont déroulées entre novembre 2013 et avril 2014 à l'Université Conventionnelle. On trouvera ici les notices de chaque séance ainsi que les enregistrements audio des séances, également accessible sur notre compte soundcloud sous la forme d'une liste de lecture.

Les séances

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Cette atelier de philosophie  comporte 7 séances qui se sont déroulées entre novembre 2013 et avril 2014 à l'Université Conventionnelle. On trouvera ici les notices de chaque séance ainsi que les enregistrements audio des séances, également accessible sur notre compte soundcloud sous la forme d'une liste de lecture.



Séance du 7 novembre 2013 : “avoir” un corps

Lorsque l'on écarte toutes les significations culturelles et historiques concernant l' « âme » et le « corps », on est face à une série d'expériences corporelles universelles, et que chacun de nous peut éprouver : le travail, la fatigue, la faim, l'apprentissage, l'habitude, etc.

Le point commun à toutes ces expériences est qu'elle illustrent un rapport problématique à notre propre corps – corps tantôt plié à des impératifs sociaux, à des besoins, à des désirs, corps qui tantôt se rebelle et se rappelle à nous dans son pouvoir d'inertie. Ce faisant, nous traitons le corps comme une propriété, comme un avoir. Chacun parle de son corps, comme d'un élément de lui-même à modeler et à transformer – suggérant par là qu'il est autre chose, ou du moins davantage que son propre corps, puisque celui-ci lui appartient et qu'il en dispose. 

Quel crédit devons-nous donner à ce présupposé du sens commun, qui semble extrait de l'expérience immédiate, et semble attester d'un moi différent du corps qu'il habiterait ? C'est cette question qui lancera notre travail de l'année. Nous verrons que le problème traditionnel des rapports entre l' « âme » et le « corps » est en premier lieu le problème des limites de ce que nous sommes, de ce que nous pouvons – et donc, de notre liberté.


Séance du 21 novembre 2013 : Les “techniques” du corps

Un premier caractère du corps s'impose : il est en relation avec d'autres corps. Il peut exercer une influence sur ces corps, leur imposer des transformations, il dispose d'une puissance qui rend possible un certain nombre d'opérations élémentaires. A cet égard le corps humain, conformément à ce que nous livre notre expérience, peut être considéré comme un dispositif technique. Qu'entendons-nous par là ? Il s'agit bel et bien d'une machine capable d'exécuter des mouvement, en vue d'une fin qu'on lui commande. Si le corps a donc pour nous une existence, c'est d'abord (peut-être) en tant qu'instrument.

Mais cette perspective sur le corps pose à son tour une série de problèmes. Tout d'abord, les capacités techniques du corps ne sont pas données d'emblée, dès la naissance. Comme le souligne Platon, dans le célèbre mythe du Protagoras, le corps humain est un dispositif indéterminé : il n'a pas de capacité naturelle. Pour le dire autrement, sa seule puissance naturelle est une disposition à contracter des puissances artificielles. Dès lors, le corps humain ne fait-il pas figure d'exception par rapport aux autres corps, en tant qu'il est capable d'apprentissage ? Et cette puissance apparemment indéfinie de contracter des habitudes ne suggère-t-elle pas la présence dans le corps humain, d'un pouvoir singulier qui le dépasse ?

Ensuite, l'idée de penser le corps comme un dispositif technique soulève plusieurs questions, qui concernent les fins en vue desquelles on le fait agir. Une première concerne l'origine de ces fins : sont-elles prescrites par le corps lui-même – auquel cas il ne s'agirait pour lui que de satisfaire ses besoins et de se conserver ? Mais la vie proprement humaine ne se propose-t-elle pas aussi d'autre fin (morales ou esthétiques) qui dépassent la seule conservation, et ne peuvent pas être réfléchies en fonction du corps ? Une deuxième question concerne cette fois l'activité même du corps. L'image du corps comme dispositif technique, comme instrument, suppose un corps soumis à quelque chose qui lui est extérieur et le dirige : esprit, âme, pensée, conscience, tels sont les différents noms donnés au « pilote » qui est logé dans le corps comme « en son navire » (pour reprendre l'expression de Descartes).

Toutes ces questions renvoient en définitive à une incomplétude du corps, considéré seul et en lui-même. Elles nous forcent à dépasser l'idée d'une pure mécanique du corps – et cette tentative constituera le but de notre atelier cette année.  


Séance du 5 décembre 2013 : l’homme, “animal sportif”?

La dernière séance nous a permis d'approfondir un premier point de vue sur le corps. Il constitue d'abord un instrument d'action, un dispositif technique permettant d'exercer une influence sur la matière. La principale propriété de ce dispositif est d'ailleurs son indétermination : le corps, par lui-même, est capable d'accomplir une multitude d'opérations. Il est une puissance d'acquérir des savoir-faire et de fabriquer des objets, et de démultiplier ainsi ses modes d'opération sur la matière. C'est cette capacité singulière du corps humain que nous voudrions à présent interroger. Que nous apprend sur le corps son aptitude fondamentale à contracter des habitudes ? La séance d'aujourd'hui est consacrée au développement de ce concept étrange et de ses paradoxes.

Une habitude se présente d'abord comme la possibilité acquise de réagir de manière identique à une sollicitation typique – en cela, elle se distingue de l'instinct. D'où un premier paradoxe : l'habitude suppose une perception initiale et un mouvement qui l'accompagne, mais elle tend progressivement à effacer cette perception. Le mouvement accompli devient machinal, automatique, et se passe presque de la sollicitation extérieure. Le processus d'acquisition de l'habitude fait nous fait passer d'un corps percevant à un corps agissant, mais qui oublie le motif initial de son acte.

Un deuxième paradoxe apparaît alors : l'habitude n'est pas seulement l'acquisition d'un mouvement typique et répétitif. Elle engendre un désir singulier : celui de voir ce même mouvement se répéter, indéfiniment. Contracter une habitude revient donc (pour reprendre un terme de la psychologie classique) à contracter un pli ou une tendance. Dans cette acquisition, la sensation s'efface pour finalement laisser la place au désir.

Nous retrouvons donc ici, et par un nouveau biais, une question qui concluait la séance précédente : quelles sont les finalités pour lesquelles le corps agit ? L'habitude nous conduit à un dernier paradoxe, celui des finalités de l'action. Il semble que nous acquérons des habitudes en vue d'une fin, pour l'action. L'habitude serait un simple instrument pour atteindre la fin : elle ferait partie du dispositif technique définissant le corps humain. Mais dans ce processus d'acquisition des habitudes, on a le sentiment que l'action devient une fin en soi. L'habitude n'obéirait plus à un but, elle constituerait le but en lui-même. L'homme serait-il alors, selon le mot de Bergson, un « animal sportif » – c'est-à-dire une créature vouée à l'action pour elle-même, une action dont il tirerait tout son bonheur et toute sa jouissance ?




Séance du 13 février 2014 : le rythme et l’habitude

Au cours de la séance précédente, nous nous sommes penchés sur le concept d’habitude. Nous avons interrogé cette capacité singulière du corps humain de se modifier lui-même, de passer d’un état primitif d’indétermination à la maîtrise de ses propres gestes. Le corps est progressivement apparu sous deux aspects complémentaires : d’abord comme puissance motrice, capable d’exercer une influence sur l’environnement ; puis comme puissance plastique susceptible de se plier aux exigences de l’action.

Cette nouvelle séance sera consacrée, de nouveau, à un approfondissement du concept d’habitude. En effet, notre propos en a fait un véritable pouvoir, une condition indispensable de notre ancrage dans le monde et de notre prise sur les choses… Cet aspect de l’habitude est évidemment à l’opposé de l’image qu’en donne le sens commun. Celui-ci a tendance à dévaloriser l’habitude, en l’assimilant à une répétition routinière et quasi-mécanique. Cette routine aurait d’ailleurs un caractère fondamentalement morbide, qui l’opposerait à la faculté de créer et de produire de la nouveauté.

Nous voudrions interroger cette image traditionnelle, cette fois à partir de la notion de rythme. En effet, acquérir une habitude signifie en même contracter un certain rythme. Voilà un processus à définir et à éclaircir plus précisément, sachant que la notion de rythme est utilisée dans les contextes les plus variés : en art évidemment (sans se limiter à la musique), dans le monde du travail, mais aussi dans les sciences du vivant – où l’on parle, depuis les années 1950, d’une « chronobiologie », attachée à décrire le rapport aux temps des espèces vivantes en général, et de l’homme en particulier.

Quels sont les différents caractères du rythme ?

En premier lieu, il se présente comme la répétition régulière d’un événement, ou d’une série d’événements. A cet égard, si l’on peut parler de rythme dans la nature, il semble que celui-ci commence avec la vie. Les choses inertes obéissent à des lois, mais seul le vivant peut contracter en lui et produire un rythme – à tel point que rythme et vie paraissent inséparables. Allons plus loin : si le rythme est propre au vivant, c’est parce qu’il marque la mise en relation de l’individu et de son milieu, l’insertion du vivant dans le milieu. Le rythme signale le passage d’une sensation passive à une véritable activité, dans la reproduction par l’être vivant d’une régularité perçue.

Enfin, le rythme soulève une énigme concernant la mesure du temps. L’appréhension d’une pulsation régulière  indique que la mesure du rythme n’est pas un processus intellectuel ou réfléchi. Bien au contraire, il y a une sorte de mesure immédiate et sensible de la régularité rythmique, qui plonge ses racines dans la vie plutôt que dans l’entendement. Si bien que le rythme développe un profond paradoxe : celui d’un corps intelligent, d’un corps qui produit une opération de mesure avant même le travail réflexif de la pensée – ou plutôt, d’une pensée qui serait déjà inscrite dans le corps et dans ses opérations.


Séance du 13 mars 2014 : la santé et la maladie

Au cours des séances précédentes consacrées à l'habitude et au rythme, nous avons rencontré un problème : qu'est-ce qui distingue une bonne habitude d'une mauvaise ? Cette question renvoie à une question plus générale concernant les rapports de la santé et de la maladie : sur quels critères distinguer ce qui est bon ou mauvais pour le corps ? Cette séance est consacrée à un premier approfondissement ce cette question – nous nous appuierons pour cela sur l'ouvrage majeur de Georges Canguilhem intitulé Le normal et le pathologique.

Nous observerons dans un premier temps que seul un corps vivant peut être affecté par un mal ou un bien. La matière inerte a pour propriété essentielle l'indifférence : elle ne réagit pas, elle doit tout son mouvement ou son changement à une cause qui lui est extérieure. Par opposition, l'être vivant se définit d'emblée comme instituant un ensemble de valeur qui dépendent directement de ses besoins. Le terme de « valeur » n'a pas ici un sens moral : il désigne, au sens le plus banal du mot, une préférence.

Nous interrogerons, à partir de cette thèse initiale, ce qui fonde la différence entre « bon » et « mauvais » pour un être vivant. Y a-t-il des critères objectifs de la santé et de la maladie, établis par la médecine et la physiologie ? Le normal et le pathologique ne se définissent-il pas plutôt à partir d'une expérience singulière et irréductible du sujet ?



Séance du 29 mars 2013 : corps scientifique et corps vécu

La séance précédente nous a mené à une distinction entre deux point de vue sur le corps. Un point de vue subjectif d'abord, où le corps est éprouvé comme réalité vécue : corps vivant, sensible, susceptible de fatigue, de santé et de maladie. Un point de vue objectif ensuite, tiré d'une autre expérience, où le corps fait figure d'objet pour la physiologie et la médecine. Il nous faut à présent développer cette distinction, et en dégager toutes les implications : y a-t-il réellement deux corps, un corps subjectif et un corps objectif, un corps pour le sujet et un corps pour la science ?

Le corps tel qu'il est investi par la science apparaît d'abord, pour reprendre les termes de Claude Bernard, comme un ensemble de processus physico-chimiques : processus électrique dans la transmission du message nerveux ; processus mécanique dans le cas de la circulation sanguine ; processus chimique dans le cas de la digestion ou de la respiration, etc... Ce point de vue a plusieurs conséquences. Il assimile certes le vivant à l'inerte, en faisant disparaître la frontière entre science physique et science de la vie – paradoxe théorique qui rend problématique une définition scientifique de la vie. Davantage, il rend possible une intervention technique sur le corps, à visée thérapeutique. La prise d'un médicament, la pose d'un cœur artificiel, sont des opération techniques qui ne se seraient pas possibles sans un point de vue lui-même technique sur le corps.

Toutefois, on a l'impression que l'expérience vécue de la corporéité reste vaguement étrangère au point de vue adopté par la médecine. Quel est donc notre vrai corps ? Celui que l'on sent et que l'on éprouve, ou bien celui que la thérapie permet de soigner ?



Séance du 10 avril 2014 : la pensée du dualisme

La séance précédente a approfondi la distinction entre deux points de vue sur le corps, puisque nous avons défini un corps pour la science et un corps pour la conscience. Cette distinction ouvre un problème : celui du dualisme – pour reprendre le nom qu'il a reçu dans la tradition philosophique. Quel sont les rapports entre le corps objectif, pensé comme machine, et le corps vécu dont j'ai conscience ? En d'autres termes, quels sont les rapports entre le corps propre comme matière, et la pensée ? Le premier est-il capable de produire la seconde ?

Le but de cette séance est de remonter jusqu'à l'origine de ce problème, situé très précisément dans la philosophie de Descartes, et plus particulièrement dans les Méditations métaphysiques. L'originalité de Descartes est de poser la question des rapports entre l'âme et le corps non d'un point de vue éthique (qui domine l'autre ? Qui doit dominer l'autre ?) mais d'un point de vue avant tout métaphysique (quelle est la nature de chacun d'eux ?). A la faveur du doute méthodique, Descartes établit que l'âme, autrement dit la pensée, est « capable d'exister sans le corps ». Il en déduit que la pensée et le corps constitue deux substances qui n'ont « rien de commun entre elles ».

Nous porterons un regard critique sur ce dualisme, non pour le mettre en cause, mais pour en dégager toutes ses implications. La genèse du dualisme pourrait bien même nous livrer un enseignement sur la manière de poser un problème philosophique en général. En effet, le dualisme cherche à lier ce qu'il a auparavant dissocié. « Après avoir taillé, il faut coudre », pour reprendre l'expression de Bergson dans La pensée et le mouvant. Ce faisant, le dualisme cartésien et toutes les doctrines qui en héritent se condamnent peut-être à une aporie, car il semble impossible de tracer un lien entre deux nature que l'on a au préalable défini comme sans rapport. Bref : peut-on dépasser le dualisme dans le cadre du dualisme ?

Introduction à la lecture de Spinoza

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Pourquoi lire Spinoza?

« Voilà, disait-il, les deux plus grands et les plus ordinaires défauts des hommes, savoir la paresse et la présomption. Les uns croupissent lâchement dans une crasse ignorance, qui les met au-dessous des brutes ; les autres s'élèvent en Tyrans sur l'esprit des simples, en leur donnant pour oracles éternels un monde de fausses pensées. C'est là la source de ces créances absurdes dont les hommes sont infatués, ce qui les divise les uns les autres, et ce qui s'oppose au but de la Nature, qui est de les rendre uniformes, comme enfants d'une même Mère. C'est pourquoi il disait qu'il n'y avait que ceux qui s'étaient dégagés des maximes de leur enfance, qui pussent connaître la vérité, qu'il faut faire d'étranges efforts pour surmonter les impressions de la coutume, et pour effacer les fausses idées dont l'esprit de l'homme se remplit avant qu'il soit caopable de juger des choses par lui-même. Sortir de cet abîme, c'était, à son avis, un aussi grand miracle que celui de débrouiller le chaos » (Lucas, Vie de Spinoza).

Ce cours a pour but de rendre plus aisée la lecture de l'oeuvre de Spinoza, en reformulant les principales questions qui animent sa pensée. Nous choisirons comme fil conducteur son interrogation sans doute la plus essentielle, la question proprement « éthique » : comment libérer l'homme de ce que Spinoza appelle sa « servitude » ?

Nous tâcherons de suivre ce problème au gré de nos lectures, depuis sa position dans le Traité de la réforme de l'entendement et le Traité théologico-politique, jusque dans son développement et sa résolution dans L'éthique. Nous tenterons de faire apparaître le lien intrinsèque que Spinoza établit entre la liberté et le savoir, entre la puissance d'agir et la puissance de penser. 

Nous lirons des textes tirées des oeuvres de Spinoza publiées en GF-Flammarion et traduites par Charles Appuhn (Ethique, Traité théologico-politique). Nous utiliserons pour le Traité de la réforme de l'entendement la traduction d'A. Koyré publiée chez Vrin. 

Des extraits en ligne seront disponibles dans la section dédiée à Spinoza du site de Septembre. 

Les séances

Spinoza excommunié, Samuel Hirszenberg, 1907

Spinoza excommuniéSamuel Hirszenberg, 1907

Cette lecture de Spinoza consiste en 5 séances qui se sont déroulées entre octobre 2009 et janvier 2010 à l'Université Conventionnelle. On trouvera ici les notices renvoyant aux extraits commentés en cours, ainsi que les enregistrements audio des séances, également accessible sur notre compte soundcloud..

La dernière séance, qui devait être consacré à Dieu a du être annulée en raison d'une mauvaise grippe. Sans doute un signe!

 

 

Séance du 22 octobre 2009 / La question de la servitude

 

Comme le souligne Bergson dans La pensée et le mouvant, toute philosophie semble trouver son mobile essentiel dans une sorte de problème central. Cette question est un appel à la pensée : c'est elle qui la fait naître - même si le philosophe ne la formule pas toujours explicitement. Un lecteur attentif se doit donc de retrouver cette question et la reposer pour lui-même, afin de ne pas faire de la philosophie une simple opinion, si argumentée soit-elle. C'est en effet la question elle-même qui donne à la pensée sa nécessité en même temps que son urgence et son actualité.

Quelle serait alors la question centrale du spinozisme ? Sans doute celle de ce qu'il appelle, dans la quatrième partie de l'Ethique, la « servitude de l'homme ». 


A partir d'une lecture de la préface du Traité théologico-politique, nous pouvons dégager différentes figures de la servitude chez Spinoza : la superstition, la soumission au despote, le désir de pouvoir, la misanthropie. Quel concept philosophique de la servitude se dissimule implicitement sous ces différentes formes ? La servitude désigne moins un rapport de soumission à un autre homme qu'un rapport d'impuissance face à soi-même et à ses propres sentiments (ou affects). Elle est l'état de l'homme qui voit sa puissance d'agir diminuée, réduite au minimum. C'est contre cet état de fait que le spinozisme se propose d'élaborer, précisément, une « éthique ».

 

 

Séance du 12 novembre 2009 / L'ambition d'une "éthique"

 

Cette séance sera consacrée à questionner et éclaircir ce que Spinoza entend par « éthique ». Nous commencerons par rappeler et approfondir certains points du cours précédent laissés en suspens, notamment la définition de la puissance d'agir.

Contrairement à ce que l'on observe chez l'animal, celle-ci est susceptible chez l'homme de varier entre un seuil minimal – la mort – et un seuil maximal encore indéterminé. Or c'est en fonction de cette variation que peut se comprendre le projet proprement éthique de Spinoza : sortir l'homme de la servitude en lui donnant les moyens de porter sa puissance d'agir à son maximum. 


C'est pourquoi la signification du terme « éthique », qui donne son titre au principal ouvrage de Spinoza, est loin d'être évidente. On sait que le mot connote dans le langage courant l'établissement de règles susceptibles de guider la conduite individuelle. Il n'en est rien chez Spinoza : nulle référence à des règles, nulle norme pré-établie du Bien sur laquelle se guider.

Plusieurs problèmes se posent alors, dont nous tâcherons de démêler les implications : qu'est-ce qui permet à Spinoza de qualifier une action de « bonne » ? Sur quels critères se fonder pour juger du bien et du mal ? Le spinozisme, en rapportant le bien à l'accroissement de la puissance d'agir, ne fait-il pas l'apologie du « chacun pour soi », du relativisme et de la concurrence sauvage entre les individus ?

 

 

Séance du 29 novembre 2009 / Le bien et le mal, le bon et le mauvais

 

Dans le droit fil de la séance précédente, nous nous interrogerons ici sur le sens que Spinoza donne à l'expression « éthique ». Notre propos sera centré sur la question du relativisme : si Spinoza instaure le « sentiment » (ou affect) comme critère du bon et du mauvais, qu'est-ce qui l'empèche d'affirmer la relativité des valeurs ? Qu'est-ce qui lui interdit de prétendre que toutes les opinions se valent, et que tout est affaire de point de vue ? 


Pour démêler l'écheveau de ce problème complexe, nous tâcherons de cerner les différents domaines où se pose la question éthique – et de les distinguer de ceux où elle ne se pose pas.

Le premier domaine est celui de la Nature. Parler à propos d'elle de Bien et de Mal, de péché, ou encore d'injustice, n'a aucun sens : en elle tout s'accomplit de façon nécessaire. Bien plus, il n'existe pas de nature imparfaite. La question éthique, que l'on désignera de façon très générale comme la question de la justice, ne peut donc se poser que dans le domaine de la communauté humaine, domaine où l'on compare les biens et les dommages que s'infligent les hommes, domaine où ils sont forcés de vivre ensemble. Elle se prolongera dans le domaine de la vie individuelle. On verra alors que le critère de la puissance d'agir, loin de conduire au relativisme, est au contraire le seul capable d'établir des valeurs absolues et universelles.

 

 

Séance du 10 décembre 2009 / La question de la liberté

 

Nous aborderons, au cours de cette séance, les questions du désir et de la liberté dans la philosophie de Spinoza. Car si l'éthique spinoziste se propose d'accroître la liberté de l'homme, c'est dans un sens tout particulier et qui n'appartient qu'à elle... En effet, Spinoza renouvelle entièrement les conceptions de la liberté et du désir, s'opposant par là-même à une définition classique de ces termes. 


Quelle est cette définition ? Dès l'Antiquité, aussi bien pour les matérialistes et les stoïciens que pour Platon, le désir est pensé comme manque, et donc comme souffrance : on ne désire que ce que l'on a pas, on ne désire être que ce que l'on est pas. Il en découle deux figures distinctes du rapport aux désirs. Où bien le désir est ce qui doit être réduit pour que l'homme vive pleinement heureux (figure épicurienne et stoïcienne). Où bien le désir est impossible à réduire, et la condition de l'homme demeure éternellement tragique, éternellement en défaut par rapport à ce à quoi il aspire (figure platonicienne). Nous tenterons de montrer que cette conception du désir est liée à une représentation de la liberté comme choix entre plusieurs possibles, comme oscillation ou hésitation – entre l'accomplissement du désir et son refus. 


Rien de tel chez Spinoza, qui opère un renversement complet des définitions classiques. En premier lieu, le désir ne se définit pas chez lui comme manque. Au contraire, il est production de son objet. Il ne manque de rien, il fait agir en fonction d'une norme qu'il affirme. Dès lors, le désir ne peut plus être souffrance : seul le mélancolique souffre, d'un reflux complet de son désir. Et en second lieu, la liberté ne peut plus consister en un choix entre deux possibles. Elle finit par s'identifier à un certain genre de désir : celui qui fait agir « selon sa propre nature ». Etre libre ne consiste plus à avoir la possibilité de choisir, mais à désirer selon une norme qui vient de nous-même – et non pas selon une cause externe.

 

 

Séance du 14 janvier 2010 / Le savoir, clé de la liberté ?

Après avoir développé les différents aspects de la notion d' « éthique » dans le spinozisme, nous allons à présent tâcher de démêler les rapports entre éthique et connaissance. Le savoir est en effet, pour Spinoza, le moyen de résoudre problème proprement éthique – comment sortir l'homme de la servitude ? Comment développer sa puissance d'agir et permettre qu'il ne soit pas mené passivement par des causes externes ? Il est vrai que les différentes servitudes qui affectent l'homme semblent toujours engendrées par une forme d'ignorance : le superstitieux ignore la vraie nature des phénomènes naturels ; le tyran et le misanthrope ignorent ce qui est bon pour eux, tout comme le passionné ou le mélancolique. 


Pourtant, la notion même de « savoir » ou de « connaissance » est bien confuse... Nous tenterons au cours de cette séance de la définir avec plus de précision, et surtout de comprendre son lien avec l'éthique.

Spinoza distingue au moins trois types de connaissances, ou plutôt trois manières de les acquérir. En premier lieu, notre prétendu « savoir » dépend très largement de l'autorité d'autrui, ou de notre expérience immédiate. Il est alors sujet à nous tromper : cette connaissance par « ouïe-dire » ou par « expérience vague » s'apparente plutôt à un opinion. En deuxième lieu, une connaissance des « notions communes » nous permet de percevoir les convenances et les disconvenances entre les choses : elle nous rend capable d'agir. Mais Spinoza évoque aussi la possibilité d'une connaissance du « troisième genre » qui nous plongerait directement dans la nature des choses, et permettrait de saisir leur essence...

Nous tenterons, au cours des deux dernières séances, d'approcher la définition de cette connaissance mystérieuse – et de comprendre ainsi ce que Spinoza appelle « Dieu » ou la « Nature ».