Liberté

Les séances

Spinoza excommunié, Samuel Hirszenberg, 1907

Spinoza excommuniéSamuel Hirszenberg, 1907

Cette lecture de Spinoza consiste en 5 séances qui se sont déroulées entre octobre 2009 et janvier 2010 à l'Université Conventionnelle. On trouvera ici les notices renvoyant aux extraits commentés en cours, ainsi que les enregistrements audio des séances, également accessible sur notre compte soundcloud..

La dernière séance, qui devait être consacré à Dieu a du être annulée en raison d'une mauvaise grippe. Sans doute un signe!

 

 

Séance du 22 octobre 2009 / La question de la servitude

 

Comme le souligne Bergson dans La pensée et le mouvant, toute philosophie semble trouver son mobile essentiel dans une sorte de problème central. Cette question est un appel à la pensée : c'est elle qui la fait naître - même si le philosophe ne la formule pas toujours explicitement. Un lecteur attentif se doit donc de retrouver cette question et la reposer pour lui-même, afin de ne pas faire de la philosophie une simple opinion, si argumentée soit-elle. C'est en effet la question elle-même qui donne à la pensée sa nécessité en même temps que son urgence et son actualité.

Quelle serait alors la question centrale du spinozisme ? Sans doute celle de ce qu'il appelle, dans la quatrième partie de l'Ethique, la « servitude de l'homme ». 


A partir d'une lecture de la préface du Traité théologico-politique, nous pouvons dégager différentes figures de la servitude chez Spinoza : la superstition, la soumission au despote, le désir de pouvoir, la misanthropie. Quel concept philosophique de la servitude se dissimule implicitement sous ces différentes formes ? La servitude désigne moins un rapport de soumission à un autre homme qu'un rapport d'impuissance face à soi-même et à ses propres sentiments (ou affects). Elle est l'état de l'homme qui voit sa puissance d'agir diminuée, réduite au minimum. C'est contre cet état de fait que le spinozisme se propose d'élaborer, précisément, une « éthique ».

 

 

Séance du 12 novembre 2009 / L'ambition d'une "éthique"

 

Cette séance sera consacrée à questionner et éclaircir ce que Spinoza entend par « éthique ». Nous commencerons par rappeler et approfondir certains points du cours précédent laissés en suspens, notamment la définition de la puissance d'agir.

Contrairement à ce que l'on observe chez l'animal, celle-ci est susceptible chez l'homme de varier entre un seuil minimal – la mort – et un seuil maximal encore indéterminé. Or c'est en fonction de cette variation que peut se comprendre le projet proprement éthique de Spinoza : sortir l'homme de la servitude en lui donnant les moyens de porter sa puissance d'agir à son maximum. 


C'est pourquoi la signification du terme « éthique », qui donne son titre au principal ouvrage de Spinoza, est loin d'être évidente. On sait que le mot connote dans le langage courant l'établissement de règles susceptibles de guider la conduite individuelle. Il n'en est rien chez Spinoza : nulle référence à des règles, nulle norme pré-établie du Bien sur laquelle se guider.

Plusieurs problèmes se posent alors, dont nous tâcherons de démêler les implications : qu'est-ce qui permet à Spinoza de qualifier une action de « bonne » ? Sur quels critères se fonder pour juger du bien et du mal ? Le spinozisme, en rapportant le bien à l'accroissement de la puissance d'agir, ne fait-il pas l'apologie du « chacun pour soi », du relativisme et de la concurrence sauvage entre les individus ?

 

 

Séance du 29 novembre 2009 / Le bien et le mal, le bon et le mauvais

 

Dans le droit fil de la séance précédente, nous nous interrogerons ici sur le sens que Spinoza donne à l'expression « éthique ». Notre propos sera centré sur la question du relativisme : si Spinoza instaure le « sentiment » (ou affect) comme critère du bon et du mauvais, qu'est-ce qui l'empèche d'affirmer la relativité des valeurs ? Qu'est-ce qui lui interdit de prétendre que toutes les opinions se valent, et que tout est affaire de point de vue ? 


Pour démêler l'écheveau de ce problème complexe, nous tâcherons de cerner les différents domaines où se pose la question éthique – et de les distinguer de ceux où elle ne se pose pas.

Le premier domaine est celui de la Nature. Parler à propos d'elle de Bien et de Mal, de péché, ou encore d'injustice, n'a aucun sens : en elle tout s'accomplit de façon nécessaire. Bien plus, il n'existe pas de nature imparfaite. La question éthique, que l'on désignera de façon très générale comme la question de la justice, ne peut donc se poser que dans le domaine de la communauté humaine, domaine où l'on compare les biens et les dommages que s'infligent les hommes, domaine où ils sont forcés de vivre ensemble. Elle se prolongera dans le domaine de la vie individuelle. On verra alors que le critère de la puissance d'agir, loin de conduire au relativisme, est au contraire le seul capable d'établir des valeurs absolues et universelles.

 

 

Séance du 10 décembre 2009 / La question de la liberté

 

Nous aborderons, au cours de cette séance, les questions du désir et de la liberté dans la philosophie de Spinoza. Car si l'éthique spinoziste se propose d'accroître la liberté de l'homme, c'est dans un sens tout particulier et qui n'appartient qu'à elle... En effet, Spinoza renouvelle entièrement les conceptions de la liberté et du désir, s'opposant par là-même à une définition classique de ces termes. 


Quelle est cette définition ? Dès l'Antiquité, aussi bien pour les matérialistes et les stoïciens que pour Platon, le désir est pensé comme manque, et donc comme souffrance : on ne désire que ce que l'on a pas, on ne désire être que ce que l'on est pas. Il en découle deux figures distinctes du rapport aux désirs. Où bien le désir est ce qui doit être réduit pour que l'homme vive pleinement heureux (figure épicurienne et stoïcienne). Où bien le désir est impossible à réduire, et la condition de l'homme demeure éternellement tragique, éternellement en défaut par rapport à ce à quoi il aspire (figure platonicienne). Nous tenterons de montrer que cette conception du désir est liée à une représentation de la liberté comme choix entre plusieurs possibles, comme oscillation ou hésitation – entre l'accomplissement du désir et son refus. 


Rien de tel chez Spinoza, qui opère un renversement complet des définitions classiques. En premier lieu, le désir ne se définit pas chez lui comme manque. Au contraire, il est production de son objet. Il ne manque de rien, il fait agir en fonction d'une norme qu'il affirme. Dès lors, le désir ne peut plus être souffrance : seul le mélancolique souffre, d'un reflux complet de son désir. Et en second lieu, la liberté ne peut plus consister en un choix entre deux possibles. Elle finit par s'identifier à un certain genre de désir : celui qui fait agir « selon sa propre nature ». Etre libre ne consiste plus à avoir la possibilité de choisir, mais à désirer selon une norme qui vient de nous-même – et non pas selon une cause externe.

 

 

Séance du 14 janvier 2010 / Le savoir, clé de la liberté ?

Après avoir développé les différents aspects de la notion d' « éthique » dans le spinozisme, nous allons à présent tâcher de démêler les rapports entre éthique et connaissance. Le savoir est en effet, pour Spinoza, le moyen de résoudre problème proprement éthique – comment sortir l'homme de la servitude ? Comment développer sa puissance d'agir et permettre qu'il ne soit pas mené passivement par des causes externes ? Il est vrai que les différentes servitudes qui affectent l'homme semblent toujours engendrées par une forme d'ignorance : le superstitieux ignore la vraie nature des phénomènes naturels ; le tyran et le misanthrope ignorent ce qui est bon pour eux, tout comme le passionné ou le mélancolique. 


Pourtant, la notion même de « savoir » ou de « connaissance » est bien confuse... Nous tenterons au cours de cette séance de la définir avec plus de précision, et surtout de comprendre son lien avec l'éthique.

Spinoza distingue au moins trois types de connaissances, ou plutôt trois manières de les acquérir. En premier lieu, notre prétendu « savoir » dépend très largement de l'autorité d'autrui, ou de notre expérience immédiate. Il est alors sujet à nous tromper : cette connaissance par « ouïe-dire » ou par « expérience vague » s'apparente plutôt à un opinion. En deuxième lieu, une connaissance des « notions communes » nous permet de percevoir les convenances et les disconvenances entre les choses : elle nous rend capable d'agir. Mais Spinoza évoque aussi la possibilité d'une connaissance du « troisième genre » qui nous plongerait directement dans la nature des choses, et permettrait de saisir leur essence...

Nous tenterons, au cours des deux dernières séances, d'approcher la définition de cette connaissance mystérieuse – et de comprendre ainsi ce que Spinoza appelle « Dieu » ou la « Nature ».