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Les séances

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Ce cours a été dispensé par Jean-Michel Muglioni entre novembre 2015 et juin 2016, durant la dernière année de l’Université Conventionnelle. Il comporte 12 séances dont les notices et les enregistrements (excepté celui de la dixième séance) sont accessibles ci-dessous. Ceux-ci sont rassemblés par ailleurs en une liste de lecture sur notre compte Soundcloud.

Séance du 4 novembre 2015 : Approches de l’imagination

Cette première séance introduira la réflexion de l'année.  Nous partirons d'un texte prenant pour objet une expérience commune, qui permet de saisir la profondeur et l'étendue des pouvoirs de l'imagination. 

Nous verrons en effet que l’imagination ne consiste pas à voir des images dans sa tête. La philosophie de l’imagination proposée par Alain est une des choses les plus originales de son œuvre (et elle a beaucoup inspiré Sartre). Elle est inséparable d’une philosophie des beaux arts et de la création artistique, que nous aurons donc aussi à comprendre. 

Séance du 19 novembre 2015 : suite de la réflexion sur l’imagination

La plupart des auditeurs, lors du dernier cours, ont eu grand peine à admettre que l’illusion de la lune à l’horizon demeurait même une fois qu’on l’a démasquée. Nous allons donc devoir réfléchir sur cette difficulté. Une telle illusion nous apprend beaucoup sur nous-mêmes et sur la faculté que nous avons de voir ce qu’en réalité nous ne voyons pas : « Ce sont les fous seulement, selon l'opinion commune, qui verront dans cet univers étalé des objets qui n'y sont point », dit Alain au début de ses éléments de philosophie. Eh bien l’illusion de la lune nous apprend que nous sommes tous comme ces fous, ou bien que nous avons d’abord une fausse idée de la perception.  

La perception ne peut s’expliquer comme l’effet du monde sur un organe des sens. Tout notre être est engagé – corps et âme – dans la moindre de nos perceptions. Nous mettons beaucoup de nous-mêmes dans ce que nous percevons. La perception est d’emblée à l’objet : c’est la lune qui est grossie ! L’illusion a la forme de l’objet. Par conséquent nous avons à apprendre à percevoir le monde si nous ne voulons pas seulement « voir » nos préjugés et nos passions dans les choses. Ainsi la philosophie de la perception d’Alain est à la fois un apprentissage de la perception et une découverte de l’homme entier dans la moindre de ses perceptions. 
  
Voici un autre exemple d’illusion, l’illusion d’Helmholtz, rapportée et expliquée par Alain dans les Eléments de philosophie : 

"Certes quand je sens un corps lourd sur ma main, c'est bien son poids qui agit, et il me semble que mes opinions n'y changent rien. Mais voici une illusion étonnante. Si vous faites soupeser par quelqu'un divers objets de même poids, mais de volumes très différents, une balle de plomb, un cube de bois, une grande boîte de carton, il trouvera toujours que les plus gros sont les plus légers. L'effet est plus sensible encore s'il s'agit de corps de même nature, par exemple de tubes de bronze plus ou moins gros, toujours de même poids. L'illusion persiste si les corps sont tenus par un anneau et un crochet ; mais, dans ce cas-là, si les yeux sont bandés, l'illusion disparaît. Et je dis bien illusion, car ces différences de poids imaginaires sont senties sur les doigts aussi clairement que le chaud ou le froid. Il est pourtant évident, d'après les circonstances que j'ai rappelées, que cette erreur d'évaluation résulte d'un piège tendu à l'entendement ; car, d'ordinaire, les objets les plus gros sont les plus lourds ; et ainsi, d'après la vue, nous attendons que les plus gros pèsent en effet le plus ; et comme l'impression ne donne rien de tel, nous revenons sur notre premier jugement, et, les sentant moins lourds que nous n'attendions, nous les jugeons et finalement sentons plus légers que les autres. On voit bien dans cet exemple que nous percevons ici encore par relation et comparaison, et que l'anticipation, cette fois trompée, prend encore forme d'objet". 

Et un autre commentaire de cette illusion dans les Manuscrits inédits de 1925 cité par A. Drevet dans ses morceaux choisis, Alain, philosophie, les grands textes aux PUF : 

« En cette expérience, dans laquelle il ne reste rien d’obscur, il apparaît : 
que les perceptions de la vue et les jugements qui en résultent sur la nature de l’objet modifient l’impression même : contact de l’anneau sur le doigt. 
que la sensation qui correspond au poids ne dépend point seulement de l’objet et de la sensibilité propre à la peau, mais éminemment de la réaction musculaire, qui intéresse le corps tout entier… ; 
qu’enfin cette réaction même dépend de l’anticipation, c’est-à-dire de la préparation musculaire qui conduit dans le cas actuel à des déceptions qui apparaissent sous deux espèces : 
1° L’effort réel est inférieur à l’effort prévu ; il en résulte un mouvement déréglé et un trouble de l’équilibre ; 
2° l’effort réel est supérieur à l’effort prévu ; le mouvement se fait alors en deux temps, avec une mobilisation précipitée qui se traduit par un trouble affectif. 
Pour bien comprendre ces vicissitudes d’ordre musculaire et qui intéressent tout notre corps, il faut considérer les cas extrêmes : la marche d’escalier, le faux pas… Dans ces cas, l’émotion est violente. On en peut conclure qu’un commencement de cette émotion accompagne toutes les explorations du toucher, et nous fait sentir vivement l’écart entre nos préparations et l’action même.  
Ce qui est remarquable ici, c’est que tout le poids de l’organisme en attente se traduit par une impression tactile qui paraît simple... Et, chose remarquable, toujours sentie au niveau de l’obstacle, au point même où mon action s’exerce. 
…La fausse conclusion est sentie, et cela mérite examen. Car on voit bien comment je produis le sentiment, par l’attente et la préparation ; et 
comment le sentiment se rassemble en une sensation. Dans cet exemple la sensation n’est pas donnée, mais cherchée et fabriquée par notre corps. » 


Séance du 9 décembre 2015 : “l’objet sensible est d’entendement”

Nous avons jusqu’ici surpris l’imagination au cœur de notre perception ; nous avons ainsi déjà compris qu’il n’y a pas dans notre perception du monde des sensations simples qui seraient produites sur les organes des sens par des stimuli extérieurs : ce que nous éprouvons, sentons, percevons, est le produit de toute une alchimie où l’homme entier est en jeu, avec ses habitudes, sa mémoire, ses projets, etc. La question se pose donc de savoir ce qui distingue une perception fausse, produit de l’imagination, et une perception vraie, par laquelle nous connaissons le monde. 

Pour y répondre, il nous faudra comprendre que l’entendement est au cœur de la perception ce qui fonde son réalisme, c’est-à-dire notre croyance en l’existence des choses extérieures : la « certitude sensible » se fonde sur la mise en relation de toutes nos perceptions par l’entendement, et ces perceptions ne sont rien sans ou avant cette mise en relation. C’est là l’idée difficile qu’Alain ne cesse de développer depuis ses premiers articles autour de 1900 dans la Revue de Métaphysique et de Morale. Il s’agit de « …comprendre ce que l’illustre Kant a expliqué, semble-t-il, trop sommairement, c’est à savoir que notre perception dépend bien plutôt des lois de notre esprit que des propriétés de nos sens ». L’idée d’objet, juillet 1902. Nous renvoyons également à cet extrait des Lettres sur la philosophie première.

Séance du 16 janvier 2016 : philosophie de la perception et philosophie populaire

Un certain nombre d’universitaires rendent bien à Alain le mépris qu’il leur a toujours témoigné. Lui-même n’a pas craint d’écrire dans des journaux pour un public de non spécialistes. Il a toujours refusé le style académique et le jargon prétendument technique, considérant que la langue naturelle contient déjà la vérité et qu’il suffit de la faire sonner, comme font les poètes. Il est vrai que le journalisme tel qu’il l’entendait n’a rien de commun avec les médias d’aujourd’hui : il repose sur l’écriture et la lecture, et si les propos sont d’un jour, il faut qu’aussi bien leur auteur que leur lecteur prenne le temps de la réflexion. 

Une conception aristocratique du peuple

Alain ne pensait pas que la pensée soit une affaire de spécialistes et que la vérité ne puisse être comprise que par quelques-uns. Il intervenait dans les universités  populaires des débuts de la troisième république en un temps où les termes de« populaire » et de « peuple » exprimaient une certaine noblesse : il ya en effet une conception aristocratique du peuple, selon laquelle il peut et même doit être souverain et se gouverner lui-même, ce qui suppose qu’il ne se réduise pas aux passions et à l’ignorance des foules. Que tout homme soit capable de penser et même pense réellement, et donc soit capable d’accéder à la philosophie, cette foi qu’on pourrait dire aussi bien démocratique, ce refus de faire de la philosophie et des sciences une cléricature imposant au peuple de nouvelles croyances, est inséparable d’une certaine idée du savoir : il n’y a pas de rupture entre le savoir le plus élevé et celui de l’homme qui perçoit un cube, entre la science et la perception telle qu’elle est exercée par chacun. Toute la pensée est présente dans la perception ordinaire - c’est le sens de la philosophie de la perception d’Alain - et toute la sagesse est déjà dans l’expérience des choses humaines. C’est pourquoi le philosophe non seulement doit mais peut s’adresser à un grand public et ne pas s’enfermer dans le petit monde académique.  

La science nous ouvre-t-elle un "autre monde"?

Telle est la raison de fond pour laquelle Alain écrit des propos dans des journaux - et même ses œuvres plus difficiles  gardent le style des propos. Telle est aussi la raison pour laquelle certains universitaires continuent de l’ignorer : ils craignent de perdre leur autorité. 

Il nous faudra donc répondre à une objection : les sciences ne requièrent-elles pas une rupture avec la perception ordinaire, ce que Gaston Bachelard appelle une coupure épistémologique ? Le développement d’une science se fait lui aussi par des ruptures qui sont la remise en cause de ce que jusqu’alors on croyait établi :  cette critique toujours recommencée ne porte pas seulement sur l’expérience première, elle anime la science. Or Alain montre que dans la perception ordinaire nous ne cessons de nous corriger, de nous réveiller de nos rêves, et donc en ce sens il faut dire que le processus de rupture par lequel la pensée passe sans cesse d’une perception fausse à une perception vraie est déjà présent dans la perception la plus commune qui en ce sens est déjà science. Nous allons en travailler quelques exemples.  

Le monde tel que chacun de nous le perçoit est le monde tel qu’il est : ne nous laissons pas séduire par l’idée que les sciences nous découvriraient un autre monde, avec un autre espace et un autre temps... De là le refus d’Alain de se laisser séduire par les polémiques de son temps sur la relativité, par exemple. Mais c’est là déjà une affaire très académique. 

Les extraits d'Alain évoqués dans le cours sont accessibles ici.


Séance du 27 janvier 2016 : Correspondances

Nous allons lire une page de Platon, extraite du Théétète, qu’Alain n’a cessé de relire et de développer. Nous verrons pourquoi il a à partir de là conçu la philosophie de la perception comme la pièce maîtresse de la philosophie et pourquoi c’est au sein même de la perception qu’il n’a cessé de montrer ce que les scolastiques après Aristote ont appelé les catégorie (être, non-être, identité, différence, etc.). Que chacun lise et relise cette page dont l’argumentation repose sur une simple distinction, entre ce par quoi (un datif, complément d’agent) et ce au moyen de quoi.  

Il est possible de lire en même temps le poème de Baudelaire, "Correspondances "(Les Fleurs du mal) et de réfléchir sur les synesthésies et les symboles. 

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.


Séance du 10 février 2016 : L'objet, la perception et le délire : pourquoi faudrait-il "rester prolétaire" dans ses moindres pensées?

Nous lirons un propos d’Alain sur le rapport de la raison et de l’expérience. Que signifie ceci que notre pensée divague dès qu’elle n’est plus attentive aux objets et qu’au lieu de revenir toujours à la perception du monde, elle prétend pouvoir décider seule de ce qui est ?  

Nous verrons comment une philosophie de l’entendement, qui n’est pas empiriste, c’est-à-dire ne considère pas que nos idées nous viennent des sens, refuse pourtant de séparer la pensée de l’expérience. 

Alain formule ainsi une idée de la philosophie : penser n’est pas seulement discourir, obéir aux lois du discours, argumenter, c’est toujours revenir à la perception. Car dès que nous ne sommes plus pour ainsi dire lestés par notre rapport au monde, nous rêvons, nous délirons. Et rien n’est plus logique en un sens que le délire. 
  
De là aussi des réflexions sur le travail, c’est-à-dire la transformation réglée de la matière, seul remède à nos superstitions. Nous comprendrons l’opposition du bourgeois et du prolétaire. Le bourgeois vit de signes, de persuasion : ainsi l’avocat ou le professeur, ou le mendiant. La matière délivre le prolétaire de la croyance magique, selon laquelle on peut agir sur les choses par des signes. Mais qui sait rester prolétaire dans toutes ses pensées ? Et l’usage de nos nouvelles technologies est-il un travail en ce sens ? 

Le lecteur tirera profit de la lecture de cette page, ainsi que de celle-là.


Séance du 9 mars 2016 : “Il n’y a point d’images, que des objets imaginaires”

Nous avons vu l’imagination à l’œuvre dans la perception, soit qu’elle y concoure, par exemple dans la perception d’un dé ou d’une distance, soit qu’elle nous fasse croire que nous voyons le disque lunaire grossi alors que nous ne le voyons pas grossi. Nous allons maintenant suivre la réflexion d’Alain sur l’imagination, qui est sans doute ce qu’il a proposé de plus original : « quelle nouveauté choquante !», écrit-il dans Histoire de mes pensées

Ce qui choque, c’est l’idée qu’il n’y a pas d’images produites par l’imagination, mais que l’imagination consiste à interpréter les représentations qui nous sont offertes par le monde et notre corps : nous n’imaginons jamais qu’à travers le monde que nous avons autour de nous et à travers nos passions. C’est pourquoi aussi l’imagination créatrice n’est rien sans un travail à même une œuvre – laquelle n’est pas la reproduction d’on ne sait quel musée imaginaire que l’artiste aurait préalablement conçu en lui-même. 

Nous comprendrons ainsi l’unité de l’imagination dans la perception, le rêve ou la rêverie, et la fiction ou la création. 


Séance du 23 mars 2016 : il n’y a pas d’images-souvenirs

Nous allons faire un détour par une réflexion sur la mémoire : là encore, nous pourrons avancer sans avoir besoin de supposer des images-souvenirs qui seraient conservées en nous. Alain va jusqu’au bout du paradoxe qu’est la négation des images mentales ou cérébrales. Et par là il s’oppose à son contemporain, Henri Bergson. 

Il suffit de lire les développements du livre premier des Eléments de philosophie qui figurent aux chapitres XII à XVII.


Séance du 6 avril 2016 : le temps, l’espace, la perception

J’ai donné à lire la dernière fois le chapitre XVI des Eléments de philosophie, intitulé le sentiment de la durée, qui est une réponse à Bergson.  

Nous allons réfléchir sur la mesure du temps pour prendre conscience de l’irréductibilité du temps à l’espace, et donc de l’intériorité sur l’extériorité, afin de fonder l’affirmation selon laquelle pourtant le rapport à l’espace, au monde, au mouvement des astres, aux calendriers, aux institutions de la cité, est nécessaire à la conscience que nous avons du temps. 

L’intérieur n’est rien sans l’extérieur, la conscience n’est rien sans son rapport au monde. Il faut toujours revenir à la perception. L’idée d’une pensée qui pourrait se ressaisir par l’intuition d’elle-même n’a donc pas de sens.

Séance du 10 mai 2016 : Le temps et l’espace, suite

Nous allons reprendre la réflexion bergsonienne sur l’irréductibilité du temps et de l’espace. Mais au lieu de suivre Bergson jusqu’à l’idée d’une intuition qui permet à l’esprit de se retrouver entièrement lui-même sans se rapporter au monde extérieur, et ainsi se diviniser – car l’ambition philosophique de Bergson est une grande chose – nous nous contenterons de notre condition d’homme : je ne peux prendre conscience de moi-même qu’en me situant dans le monde, de sorte qu’intériorité et extériorité sont inséparables. 
  
Nous relirons une des dernières pages des Méditations de Descartes pour revenir à Alain et à l’idée que la mémoire elle-même suppose le monde. Ce qu’expose la chapitre XVI des Eléments de philosophie, intitulé Le sentiment de la durée, qui est une réponse à Bergson. 

Malheureusement cette séance n’a pas pu être enregistrée.



Séance du 25 mai 2016 : Bourgeois et prolétaires

Voici donc les deux derniers cours de l’année. J’ai commencé la lecture d’Alain par l’étude de ce qui est le centre de sa pensée, la philosophie de la perception. Les deux derniers cours (25 mai et la semaine suivante le 1° juin) porteront sur un aspect essentiel de cette réflexion, que nous avons déjà rencontré : le monde n’est pas un spectacle, il n’est connu comme réel que par le travail. 

Mais quel travail ? Quelle sorte de travail ? Nous reviendrons donc sur la distinction que fait Alain entre bourgeois et prolétaires pour comprendre le rapport de l’homme au monde, et peut-être aurons-nous ainsi des armes pour comprendre le tour qu’a pris aujourd’hui l’économie : elle est bourgeoise et non prolétaire, c’est-à-dire tout entière déterminée par la superstition des hommes et non par les nécessités du travail. 

Il faudrait relire l’Emilede Rousseau, qui montre pourquoi les hommes sont perdus lorsque leurs pensées et leurs passions sont déterminées par les rapports qu’ils ont entre eux et non par leur rapport aux mondes des choses. Idée difficile qu’il nous faudra tenter de formuler. 

Mais cette annonce est bien sibylline ! Commencez donc par lire les deux propos d’Alain que je mets en ligne (ici et ). 


Séance du 1er juin : conclusion du cours

Le dernier cours suivra le propos d’économie qui réfléchit sur la différence qu’il y a entre produire et vendre mis en ligne dans l’annonce du cours précédent. Et il le prolongera librement. 

De même que bourgeois et prolétaire sont des manières d’êtres présentes en chacun de nous à différents degrés et selon nos âges et nos métiers, de même production et vente sont inséparables, de sorte qu’il n’y a pas d’économie de pure production. Toujours produire est lié à échanger : ce qui veut dire que le rapport de l’homme à l’homme compris dans l’échange détermine le rapport de l’homme à la nature et alors le bourgeois en l’homme commande au prolétaire. Peut-il en être autrement ? Se peut-il que la part de magie de la vente ne finisse pas par régner sur le monde devenu un marché unique ? Alors l’économie n’est plus qu’un système confus de signes coupé de la réalité.

Lire Kant : deux cours d'introduction

« Je suis moi même par goût un chercheur. Je sens la soif de connaître tout entière, le désir inquiet d’étendre mon savoir ou encore la satisfaction de tout progrès accompli. Il fut un temps où je croyais que cela seul pouvait constituer l’honneur de l’humanité et je méprisais le peuple qui est ignorant de tout. C’est Rousseau qui m’a désabusé. Cette illusoire supériorité s’évanouit : j’apprends à honorer les hommes ; et je me trouverais bien plus inutile que le commun des travailleurs, si je ne croyais que ce sujet d’étude peut donner à tous les autres une valeur qui consiste en ceci : faire ressortir les droits de l’humanité » Kant, vers 1764, trad. V. Delbos

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Jean-Michel Muglioni a  dispensé deux cours introduisant à la lecture de Kant  dans le cadre des activités de l'Université conventionnelle. Pendant trois années Kant a ainsi fait l'objet d'une lecture exigeante et studieuse au sein de cette université populaire. Vous retrouverez ici l'ensemble de ce travail en libre accès.

 

Nature et liberté : Qu'est-ce que l'homme?

Le premier cours, donné entre janvier 2011 et mai 2012, comporte 21 séances et se consacre particulièrement à la question de la liberté humaine, à travers l'étude des Fondements de la métaphysique des moeurs et de la Critique de la Raison pure. Les notices et les enregistrements audio sont ici archivés par ordre chronologique. Les podcasts sont en outre également disponibles sous la forme d'une liste de lecture sur notre compte soundcloud.

 

La critique du jugement

Le second dispensé entre octobre 2012 et mai 2013 est une introduction spécifique à la lecture de la "troisième Critique", la Critique du jugement. Il développe à cette occasion une réflexion sur la nature du beau, de la sensibilité et ce que c'est que juger au long des onze séances qui le composent. On trouvera ici de la même manière l'archivage de l'ensemble des 11 séances avec leur notice et leur enregistrements respectifs. L'ensemble forme également une liste de lecture distincte sur notre compte soundcloud.

 

 

Nature et liberté : les séances

L’astuce [der Witz = la blague, malice au sens de malicieux mais non de mal] de Kant. Kant voulait prouver d’une manière qui frappe l’esprit de « tout le monde » que « tout le monde » avait raison : - c’était là la secrète astuce de cette âme. Il écrivit contre les savants en faveur du préjugé du peuple, mais pour des savants et non pour le peuple

NIESTZSCHE, Die fröhliche WissenschaftLe gai savoir n°193.

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Ce cours qui est une introduction à la lecture de Kant s’adresse à tout homme qui veut se comprendre lui-même, car c’est en dernière analyse cela que recherchait Kant : répondre à la question « qu’est-ce que l’homme ? ». Je commencerai donc cette année par rappeler que Kant, et cela dans la Critique de la raison pure, veut que la philosophie soit la réponse à cette question. Cette première formulation de l’idée de la philosophie permettra de comprendre pourquoi, pour que la philosophie concerne la vie de chacun, il faut des détours parfois aussi longs et difficiles que la Critique de la raison pure.

 

 

Séance du 26 janvier 2011 : Nature et liberté

Sans préjuger ni de la difficulté trop souvent attribuée à l’œuvre de Kant ni de la mauvaise réputation de l’homme, à cause de ce qu’on appelle à tort sa morale, nous commencerons par ce qui constitue le centre de la philosophie kantienne, à savoir l’idée d’autonomie. Lire Kant, c’est d’abord reprendre une philosophie de la liberté.

Une analyse de la notion de devoir justifie l’affirmation de la liberté : nous comprendrons en effet que ne peut être réellement obligé qu’un être libre.

Alors nous pourrons poser une première fois le problème de la contradiction au moins apparente entre la liberté et la nature. La nature, en effet, signifie nécessité : tout phénomène naturel est l’effet d’une cause antécédente. Or un acte ne peut être dit libre s’il est explicable par des causes antécédentes. Un simple effet n’est pas une action. Comment comprendre donc que nous puissions, sans nous contredire, affirmer comme physiciens la nécessité naturelle, et comme hommes notre la liberté ? Si nous pouvions montrer que la liberté est en contradiction avec la nécessité naturelle, c’est-à-dire que l’exigence morale contredit la rationalité de la physique, il faudrait considérer que cette exigence est vaine et que nos devoirs ne sont que des illusions.

En outre l’homme est un être de la nature, comme les autres êtres vivants : comment est-il possible de concevoir qu’un être de la nature soit libre et maître de son destin ?

Il est permis de prendre un exemple anachronique, pour comprendre en quel sens il y a une contradiction entre la nature et la liberté : l’institution du Comité d’éthique impose des limites aux recherches scientifiques au nom de la dignité de l’homme. De quel droit ? Sur quoi fonder une décision qui ne procède pas d’une connaissance scientifique ? Certains « spécialistes » des neuros-ciences considèrent qu’ainsi un préjugé moral et religieux privilégie abusivement l’homme sur le reste de la nature, comme si la rationalité scientifique signifiait que nous devons renoncer à notre dignité. Il est vrai qu’un homme seulement neuronal est un matériel expérimental, comme n’importe quel autre vivant ou n’importe quelle partie de la nature. Il est vrai aussi que l’affirmation de la valeur absolue de la personne humaine au principe de la Déclaration des droits de l’homme ne relève pas d’une science. Il y a donc d’un côté ce que la biochimie et la neurologie nous apprennent de l’homme, et de l’autre ce que chacun sait de lui-même et de ses semblables par la conscience qu’il a de sa dignité. Ce sont deux connaissances de deux types distinct, l’une scientifique, l’autre au contraire commune, et indépendante de la recherche scientifique. La subordination de la recherche scientifique à une norme non scientifique est-elle un reste d’irrationalité du temps où l’Eglise interdisait par exemple la dissection des cadavres ?

Après cette introduction, et sans nous préoccuper de suivre l’ordre de parution des trois Critiques, nous lirons le début des Fondements de la métaphysique des mœurs pour comprendre le sens la raison. De là nous passerons à la Critique de la raison pure.

 

 

Séance du 9 février 2011 : les fondements de la métaphysique des moeurs


Voici donc une traduction du célèbre commencement des Fondements de la métaphysique des mœurs. Je l’ai choisie pour ce qu’elle nous apprend de l’idée kantienne de la raison à partir d’une réflexion sur la haine de la raison. Mais ce sera l’occasion de considérer l’idée de volonté bonne et de voir que Kant est un auteur compréhensible : à condition toutefois de se donne la peine de lire et relire !

Conseils de lectures

Le lecteur doit d’abord se demander ce qu’il pense lui-même vraiment des qualités que ces pages énumèrent, et des exemples que nous lui proposons dans ce qui suit. Qu’il laisse parler en lui ce que l’allemand appelle « le sain entendement commun », et le français « le bon sens » ou « la raison », et surtout, qu’il le fasse sans se demander quelle peut bien être la doctrine kantienne en la matière, puisque Kant veut que nous partions de « la connaissance rationnelle commune de la moralité ». Une fois seulement cette tentative de réflexion menée à bien, et alors seulement, il pourra dire (ou refuser de dire) qu’il ne s’agit pas d’une connaissance commune mais d’un préjugé prussien ou piétiste.


Ainsi, un homme auquel ne manque aucune des qualités qui sont énumérées dans ces pages, mais dont nous penserions qu’il trahit en lui-même et en autrui sa dignité d’homme, un tel homme serait méprisable à nos yeux. Chacun trouvera aisément dans son milieu professionnel des exemples de petites lâchetés auxquelles il assiste, ou même il verra assez clairement que lui-même n’a pas toujours été assez vigilant. Il suffit par exemple d’être fort intéressé par une promotion...

Ou encore chacun sait qu’un homme que la nature la favorisé ou qui a gagné à la loterie peut n’être qu’un vaurien. Ce peut être aussi le cas d’un homme de génie dont l’œuvre nous enchante.
Réfléchir sur ces exemples permet de comprendre l’idée de volonté bonne : en dehors de cette « bonté » du vouloir, il n’y a de valeur que relative. Sans compter la relativité de ce qui est monnayable, du prix marchand.

Nous verrons pourquoi Kant est en droit de faire de la raison le juge de la valeur absolue de la volonté.


Ainsi la valeur d’un homme ne se mesure pas à ce qu’on appelle le succès ou la réussite. Et pour qui réfléchit, il y a même là une difficulté majeure, puisqu’on ne voit manifestement pas de relation entre la bonté intérieure des hommes et leur réussite sociale ou leur bonheur. La misère peut frapper un homme de bien, la santé et la richesse favoriser le pire des hommes. D’où l’interrogation menée par Kant sur le sens de la présence en nous d’une raison qui ne nous sert pas seulement à calculer les moyens qui nous permettront de satisfaire nos inclinations et ainsi d’être heureux, mais qui nous impose de n’accorder de valeur absolue qu’à la bonté du vouloir, ce qui peut nous contraindre à nous priver de ce que nous désirons. Par exemple cette exigence impose de ne pas s’enrichir n’importe comment, et elle ne s’accorde donc pas nécessaire-ment avec les impératifs économiques. Un telle idée du bien ne risque-t-elle pas de nous interdire le bonheur ? Ne nous donne-t-elle pas une tâche irréalisable ? N’implique-t-elle pas une critique radicale de la société dans laquelle nous vivons ?

Avertissement

Il convient en outre de faire très attention à l’usage des exemples dans ce contexte. Ils ne sont pas là pour nous proposer des modèles, mais pour donner à penser la nature de la volonté. Le dernier paragraphe que nous avons extrait dit ceci :

« le concept du devoir…contient celui d'une bonne volonté. Il le contient certes avec certaines restrictions, et certaines entraves subjectives, mais bien loin de le dissimuler et de le rendre méconnaissable, elles le font plutôt res-sortir par contraste et le rendent d'autant plus éclatant ».

Il y a en effet dans le concept de devoir l’idée d’une contrainte qui s’exerce sur la volonté. C’est qu’elle n’est pas un élan qui ne rencontrerait aucune résistance : faire ce que la raison exige suppose toujours quelque chose comme un combat contre notre nature d’être sensible. Et du même coup un exemple où la lutte entre l’exigence de la raison et la nature en nous est manifeste vaut mieux qu’un exemple où les deux s’accordent. Mais attention : Il ne vaut mieux non pas moralement, comme s’il y avait plus de moralité en l’homme qui doit lutter contre des désirs contraires à son devoir, ou que le malheur frappe. Un tel exemple vaut « philosophiquement », je veux dire pour voir plus clairement la différence qu’il y a entre ces deux éléments. C’est une sorte d’expérimentation chimique faite en pensée pour les distinguer l’un de l’autre. Aussi Kant donne-t-il souvent des exemples assez noirs où le bonheur et la moralité sont en contradiction. On n’en conclura pas qu’il considérerait que la moralité exige de telles épreuves et qu’elle disparaît si désir et devoir se trouvent d’accord. Ces exemples proposent à la réflexion la représentation de situations qui permettent de voir la différence de nature de ces deux exigences et ils montrent que on seulement nous accordons une valeur supérieure à la moralité.       

 

 

Séance du 9 mars 2011 : Raison et liberté

Pour répondre aux questions de l’auditoire, nous allons expliciter rapidement l’idée de morale rationnelle et personnelle.

Nous reprendrons ensuite où nous l’avons laissé le mois dernier le texte de Kant déjà mis en ligne, afin de réfléchir sur le sens de la raison : nous nous demanderons avec Kant ce que signifie le fait que nous soyons doués de raison.

Nous verrons la raison ne se réduit pas à sa fonction calculatrice, ou à ce qu’elle est dans la pratique des sciences positives, mathématiques et expérimentales. L’absolu que la raison exige nous est inaccessible par la connaissance, mais si une science de l’absolu est impossible, une philosophie de la liberté est possible qui comprend que la vraie signification de notre exigence d’absolu ou d’inconditionné est d’ordre moral.  

    

 

Séance du 23 mars 2011 : la haine de la raison

Nous allons après le détour de la séance précédente reprendre le texte des Fondements de la métaphysique des mœurs qui est en ligne. Il est permis d'en lire la source, une page célèbre du Phédon. 

 

Séance du 30 mars 2011 : Ouvrir la Critique de la Raison pure

Après avoir rapidement dit quel et l’esprit de la philosophie kantienne, nous pouvons nous lancer dans la Critique de la raison pure.

Nous savons que nous allons réfléchir sur la connaissance mathématique et expérimentale pour comprendre comment penser notre existence d’être libre sur laquelle la science moderne ne permet pas de se prononcer. L’ancienne métaphysique prétendait connaître par la seule raison notre destination morale : Kant rend compte des raisons pour lesquelles elle échoue dans ce projet et pourquoi ce projet doit être entrepris d’une tout autre manière.

Pour lire Kant, il nous faut donc pouvoir nous repérer dans l’ancienne métaphysique qui est l’objet de sa « critique », et dont portant il affirme toujours qu’elle répond à une exigence constitutive de la raison.


Je propose de commencer cette sorte d’introduction à la lecture de la Critique de la raison pure par une réflexion sur les termes a priori et a posteriori qui aujourd’hui ne veulent plus dire grand-chose. Ce sera l’occasion de mises au point de vocabulaire élémentaires à partir de preuves classiques de l’existence de Dieu.  On pourra lire en ce sens cet extrait de l'ouvrage.

 

Séance du 4 mai 2011 : la rationalité de l'expérience

Kant s’interroge sur la question de savoir comment une connaissance a priori est possible : le seul exemple des mathématiques - du moins pour celui qui les pratique ! – impose une réflexion sur ce que c’est qu’une connaissance rationnelle pure. Nous tenterons de comprendre le sens de l’interrogation kantienne et à partir de là, de l’idée de la raison qu’elle permet de formuler. Toute grande philosophie est en effet l’élucidation de l’idée de la raison.

L’interrogation sur les mathématiques est inséparable d’une interrogation sur la physique, puisqu'elle est d’abord une science mathématique, expérimentale certes, mais expérimentale parce que mathématique. De là une autre formulation de la question de savoir ce que c’est qu’une connaissance rationnelle : comment une connaissance rationnelle ou a priori de l’expérience est-elle possible ? Que signifie une telle question ? Il va falloir réfléchir sur la rationalité de l’expérience, c’est-à-dire refuser une théorie « empiriste » de l’expérience.

On pourra s'appuyer pour mieux saisir le problème sur une page de Descartes.

 

Séance du 25 mai 2011 : Hume et Kant

Nous reprendrons ce que nous avons appris sur la nature de l’expérience en général. Ayant rappelé qu’elle n’est pas le fondement du principe de causalité mais qu’elle est au contraire fondée sur lui, nous poursuivrons l’enquête humienne qui établit que la causalité ne peut pas davantage procéder de la raison que de l’expérience.

Mais c’est que nous entendrons alors par raison une pensée analytique : il faudra esquisser l’idée de rationalité analytique pour comprendre pourquoi la lecture de Hume a amené Kant à formuler l’idée d’une raison synthétique.

Nous distinguerons alors critique de scepticisme, c’est-à-dire poserons la question proprement kantienne : de quel droit pouvons-nous être assurés de l’objectivité des mathématiques, de la physique et de l’expérience elle-même ?       

 

Séance du 8 juin 2011 : Comment un jugement synthétique a priori est-il possible?

Qu’est-ce que signifie l’idée de jugement synthétique a priori ? Cette expression semble contradictoire puisque nous avons vu qu’il fallait assimiler analytique et a priori d’un côté, synthétique et empirique ou a posteriori de l’autre.

Quel est l’enjeu de la position kantienne ? Comme Descartes mais d’une autre façon, Kant refuse de confondre logique et mathématique. Et périodiquement les logicistes qui assimilent logique et mathématique s’affrontent aux mathématiciens et aux philosophes qui considèrent qu’il y a quelque chose d’irréductible au logique dans le mathématique. Ceux-ci considèrent en effet que l’exposition axiomatique et purement logique des mathématiques n’est qu’une réexposition (il est vrai féconde) qui suppose le travail d’invention et de construction proprement mathématique qui l’a précédé.

La thèse kantienne résumée de manière paradoxale est la suivante : compter revient toujours à compter sur ses doigts. Les mathématiques supposent un travail de construction irréductibles à la pure et simple déduction. Nous devrons donc réfléchir non pas seulement sur ce que c’est qu’un nombre, mais sur l’opération de compter et sur l’usage des signes en arithmétique, ainsi que sur le sens de la géométrie comme maîtrise de l’espace et non comme contemplation d’essences. L’addition constitutive des nombres est une synthèse qui suppose le temps, les relations construites pas la géométrie supposent l'espace – l’espace et le temps, objets de la première partie de la Critique de la raison pure, comme formes a priori de la sensibilité. Sur ce dernier point, le cours ne fera qu’annoncer un travail à venir.      

On s'appuiera sur les deux textes suivants, parfaitement classiques.

 

 

Séance du 19 octobre 2011 : la philosophie au sens cosmique et au sens scolastique

Ainsi que la notice du cours l'annonce, nous commencerons par réfléchir sur l’idée de philosophie entendue non pas comme système de concepts ou de connaissances, affaire de spécialises, mais en tant qu’elle concerne tout le monde (c’est ce que Kant entend par concept cosmique). Et soyons attentifs à ceci : la question ici posée est celle-là même que les petits enfants ne cessent de poser . c’est la question « pourquoi ? », qui veut dire « à quelle fin ? dans quel but ? à quoi bon ?". Si donc les formulations kantiennes sont « scolastiques » ou « académiques », peut-être expriment-elles des pensées plus naïves qu’on se l’imagine généralement.       

Nous nous appuierons pour ce faire sur les extraits suivants.

 

 

Séance du 2 novembre 2011 : la question "qu'est-ce que l'homme" et la philosophie de Kant

Une réflexion sur la notion de finalité nous a permis retrouver l’idée de philosophie telle que Kant la définit : tout sens tient en fin de compte à ce que l’homme fait de lui-même. Ou encore, le monde n’a de sens que par l’action de l’homme. L’action, c’est-à-dire non pas la maîtrise de la nature ou la conquête du monde, mais la réalisation de la liberté. Ainsi la création tout entière n’a de sens que dans la mesure où les droits de l’homme s’y réalisent. Comprendre, c’est articuler toute chose à l’exigence morale – à la valeur absolue de la personne humaine.

Toutes les activités humaines, quelles qu’elles soient, connaissances, techniques, les beaux arts eux-mêmes, tout ce que l’homme fait n’a de sens que dans la mesure où cela contribue à sa liberté – liberté ne signifiant pas ici le pouvoir de faire ce qu’on désire (car même les fous sont libres en ce sens, disaient les stoïciens), mais la dignité de la personne humaine, la noblesse de l’homme en tant qu’homme. Et cette grandeur de l’homme n’est pas de l’ordre du fait mais du devoir être, ce n’est pas une donnée mais une conquête permanente – la rançon de la liberté de l’homme est qu’il est le seul être de la nature qui peut déchoir. Le sens de la création dépend de nous ! Ce commentaire ne me paraît pas forcer le propos de Kant.

La critique de la raison et la question de la croyance

On doit m’objecter que Kant continue d’affirmer l’existence d’un Dieu bon créateur du monde ; cette affirmation relève certes non pas d’un savoir mais d’une croyance (nous verrons plus tard en quel sens c’est une « croyance de la raison » et non une foi irrationnelle) et elle signifie que le monde est approprié à notre destination d’être libre : Dieu étant bon a créé un monde qui s’accorde avec notre exigence absolue de liberté. Le monde n’est pas le produit d’un démon qui se joue des hommes, il n’est pas non plus le résultat d’un coup de dé, du hasard, mais il est le lieu de notre destination d’être libre. Croire en Dieu de cette manière, ce n’est pas se soumettre à un despote tout puissant, c’est croire qu’être jeté dans la nature comme nous le sommes n’est pas absurde et que la nature des choses en nous et hors de nous s’accorde avec notre exigence de dignité. Il dépend donc de nous de faire que ce monde soit sensé ! Kant suspend ainsi le sens de la création à la manière dont l’homme agit dans le monde. Dieu en ce sens n’est plus responsable du sens, c’est l’homme seul qui en est comptable.

Rousseau a déjà opéré ce renversement. D’où cette conséquence : une théodicée qui justifie Dieu de la présence du mal dans le monde (théo-dicée veut dire justification de Dieu), comme celle Leibniz et de ses prédécesseurs, est inutile : car ce n’est pas Dieu ou la nature en nous ou hors de nous qui est cause du mal, mais l’homme [c’est aussi le sens du refus par Kant comme par Rousseau de l’idée de péché originel].

Ainsi le personnage central de la philosophie n’est plus Dieu, mais l’homme, et répondre à la question « qu’est-ce que l’homme ? » résume tout le programme de la philosophie.
Pourquoi faut-il, pour répondre à cette question, une « critique de la raison pure » ? Critiquer veut dire juger, apprécier ; ici, c’est s’interroger sur les prétentions de la raison à connaître et se demander si elles sont légitimes et donc dénoncer ses prétentions illégitimes : Kant « critique » la prétention de la métaphysique à connaître la spiritualité et l’immortalité de l’âme, à se prononcer sur l’origine du monde et sur l’existence de Dieu. Mais la critique justifie en même temps le véritable usage de la raison, usage pratique – et c’était l’objet du cours de l’an dernier. Le vrai sens de la raison est d’ordre moral. Je retiens aujourd’hui une seule chose : la raison la plus commune suffit à l’homme pour connaître son devoir, sans qu’il ait besoin pour cela du secours d’une métaphysique - psychologie rationnelle (étude par la raison de la spiritualité de l’âme et preuve de son immortalité) ou théologie rationnelle (démonstration de l’existence de Dieu). Autrement dit la limitation du savoir qui est imposée par la critique de la raison pure permet de justifier Rousseau d’avoir prétendu que le plus commun des homes n’était pas moins bon juge en matière de morale que le plus grand des savants.

Kant et Rousseau

C’est toujours le renversement que j’ai attribué à Rousseau : connaître son devoir pour l’homme ne relève pas d’un savoir de même nature que la connaissance mathématique ou physique, encore moins d’une métaphysique.

Il nous faudra donc comprendre qu’entre savoir et devoir il y a une différence d’ordre ou de nature – la rationalité théorique ou spéculative d’un côté, et de l’autre la rationalité pratique ou morale. Savoir ce qu’on doit faire et savoir que 2+2 font 4, voilà deux ordres de savoir irréductibles l’un à l’autre. Il résulte de cette thèse philosophique sur la nature de la moralité – l’idée que la moralité relève de la raison la plus commune et non d’une science spéciale ou d’une métaphysique – qu’il n’y a pas une morale de Kant comme il y a une morale stoïcienne, ou épicurienne, morales liées à des systèmes philosophiques, mais Kant se contente d’une réflexion sur la morale commune. Le titre de la première partie des Fondements de la métaphysique des mœurs permet de le comprendre : Passage de la connaissance rationnelle commune de la moralité à la connaissance philosophique. Le philosophe n’invente pas une morale mais réfléchit sur la morale commune pour en comprendre la nature.

Nous nous demanderons donc pourquoi il faut un ouvrage aussi long et difficile que la Critique de la raison pure pour en venir à la question qu’est-ce que l’homme et réfléchir sur la morale commune. Cette difficile critique détermine les limites du savoir, pour rendre à l’homme sa liberté de juge ! J’y vois pour ma part une leçon essentielle : il n’y a pas d’expert en matière de morale ! Pour nous qui ne savons plus très bien ce que c’est que la métaphysique et qui sommes assez prisonniers d’une sorte de religion des sciences positives, la leçon kantienne est salubre, salutaire : nous n’avons pas nous en laisser imposer par les prétendues découvertes scientifiques pour tout ce qui concerne l’essentiel de notre vie et nos choix fondamentaux. Le cours devra rappeler rapidement ce qu’était la métaphysique sur laquelle Kant dut faire porter sa réflexion.

NOTE

Le cours n'a pu être enregistré. Vous trouverez ici un pdf permettant de résumer nos échanges durant la séance.
 

 

 

Séance du 16 novembre 2011 : Pourquoi "critiquer la Raison"? La question des limites du savoir

Nous reprendrons rapidement ce qui a été dit de la lecture de Rousseau par Kant pour comprendre ceci : en répondant à la question "que puis-je savoir ?" La Critique de la raison pure définit les limites du savoir. Ce qui veut dire – et ma formulation est très libre – que les progrès du savoir ne nous apprendrons rien de fondamental concernant la destination de l’homme et qu’en matière de morale (de conduite personnelle) il n’y a pas d’expert.

Nous réfléchirons sur le sens d’une réflexion philosophique sur les sciences et reviendrons sur ce qu’était la métaphysique, objet de la critique kantienne.      

 

 

Séance du 30 novembre 2011 : l'illusion métaphysique et sa nécessité

Nous prendrons l’exemple de la notion de substance pour comprendre l’ambition de la métaphysique dont Kant entreprend la critique. Il faudra cette fois entrer dans le vocabulaire scolastique de la philosophie, et connaître le sens de termes comme catégorie, sujet, prédicat…

Leibniz et la substance

Ce sera l’occasion de prendre aussi la mesure de l’ontologie leibnizienne, car si la critique de la métaphysique montre en quoi consiste l’illusion métaphysique, elle en montre par là-même la nécessité : ce n’est pas l’erreur de petits esprits ou de superstitieux, mais une illusion à laquelle nul ne peut échapper – comme celle qui nous fait voir sur la mer une ligne d’horizon, illusion qui une fois comprise cesse de nous tromper mais demeure.

On s'appuiera en particulier sur l'idée de substance, telle que Leibniz en formule la notion dans ce célèbre passage de sa lettre à Arnaud du 30 avril 1687 : « Je tiens pour un axiome cette proposition identique qui n'est diversifiée que par l'accent : que ce qui n'est pas véritablement un être n'est pas non plus véritablement un être. On a toujours cru que l'un et l'être sont des choses réciproques. Autre chose est l'être, autre chose est des êtres, ; mais le pluriel suppose le singulier, et là où il n'y a pas un être, il y aura encore moins plusieurs êtres. »       

 

 

Séance du 14 décembre 2011 : l'unité du moi est-elle un préjugé grammatical?

Lors de la discussion qui a suivi le cours du 30 novembre, Benjamin a posé la question du parallélisme ontologico-linguistique : les catégories de la métaphysique, celles d’Aristote d’abord, ne sont-elles pas purement et simplement des catégories linguistiques, celles de la langue grecque ? Ainsi, lorsque nous faisons usage de la catégorie de la substance et croyons avoir affaire à la réalité, mais nous demeurons enfermées dans une représentation du réel imposée par une langue particulière.

De la même façon une philosophie du sujet est-elle prisonnière de la grammaire ? Le « je » n’est-il au fond qu’un phénomène linguistique comme le dit Benveniste ? Chez Descartes ou chez Kant, la primauté du « je pense » ne serait qu’une illusion déterminée par la structure de leur langue. Voici une page de l’Anthropologie qui permet de voir le sens d’un tel problème.       

 

 

Séance du 18 janvier 2012 : Kant et Locke

Nous avons esquissé la critique kantienne de la catégorie de substance, qui limite l’ontologie : le concept de substance est le principe de notre perception du changement. Il ne signifie au fond rien de plus que la permanence de ce qui change. J’y reviendrai : le principe de la chimie moderne que Lavoisier a su formuler et lier à l’usage de la balance est le principe a priori de toute expérience du changement –expérience de la transformation d’une même chose dans le temps.

La Raison, au coeur de l'expérience

Nous examinerons donc deux thèses essentielles et inséparables.

La première, c’est qu’il y a des principes a priori de l’expérience, autrement dit que l’expérience n’est jamais seulement sensible. L’expérience suppose la raison : il y a une rationalité immanente à l’expérience.
La seconde thèse, qui est la conséquence de la première, et que nous avons déjà considéré, c’est que les concepts a priori ou les catégories (par exemple celle de substance) ont pour fonction de constituer l’expérience, de telle sorte qu’en faire un usage qui dépasse les limites de l’expérience (et porte sur des objets qui ne peuvent être donnés dans l’espace et le temps) est illégitime ou du moins ne peut fonder une science du suprasensible. Nous l’avons vu, et nous y reviendrons, c’est faire un usage abusif du concept de substance que de vouloir lui faire prouver l’immortalité de l’âme.

La première thèse rend compte de l’objectivité de l’expérience : parce qu’il y a une rationalité de l’expérience, nous avons raison de nous fier à l’expérience ! Par là nous sommes délivrés du scepticisme de Hume - empirisme si conséquent qu’il allait jusqu’à nier l’objectivité de l’expérience. La seconde thèse signifie qu’une métaphysique de l’âme et impossible - non pas qu’il faille nier la spiritualité de l’âme et l’immortalité, mais il est impossible de se prononcer sur ce genre de question scientifiquement.

Nous commencerons ici par lire deux pages de l’Introduction de la Critique de la raison pure.

L'empirisme de Locke

Pour comprendre ce que c’est qu’une catégorie ou un concept – pour comprendre en quoi consiste le travail de l’entendement constitutif de l’expérience elle-même, nous emprunterons un détour : la discussion de l’empirisme de Locke et de Hume. Que l’expérience elle-même suppose des principes rationnels, cette thèse doit d’abord étonner. Car elle signifie que l’empirique est toujours déjà en quelque façon rationnel, ou encore qu’il n’y a pas de connaissance seulement sensible. Cet aspect-là de la thèse kantienne suppose une réfutation de l’empirisme. Nous partirons donc de l’empirisme de Locke.

Mais d’autre part, cette philosophie de l’expérience rendant compte de l’inséparabilité de la sensibilité et de l’entendement, du sensible et de l’intellectuel qui constituent ensemble et non séparément notre connaissance, il en résulte qu’ n’y a pas de connaissance seulement intellectuelle possible : il n’y a pas de science du suprasensible. Nous retrouverons donc la critique de la psychologie rationnelle.

Ce parcours a pour principal objectif de permettre de comprendre ce que c’est qu’un concept : les concepts ne sont rien que l’activité par laquelle la conscience unifie les données sensibles et par là seulement se rend ces données présentes dans une expérience. Cette formulation ne peut pour l’instant que paraître sibylline.

 

 

Séance du 1er février 2012 : suite de la réflexion sur l'empirisme

Je rappellerai d’abord ce qui a été établi à la séance précédente, à savoir qu’il y a des concepts a priori immanents à notre expérience ordinaire. Et pour comprendre que la philosophie kantienne est une philosophie non empiriste de l’expérience, je reprendrai quelques analyses « empiristes » de Locke.

Le prolongement sceptique imposé par Hume à ces analyses nous conduira à Kant : à l’idée que le concept a priori de cause est ce qui fait que l’expérience n’est pas simplement un jeu de représentation. Nous justifierons ainsi notre confiance ordinaire en l’expérience.  

 

 

Séance du 15 février 2012 : Hume et les idées abstraites   

Après avoir rapidement reprise le problème de l’idée de substance tel qu’il se pose chez Locke, nous nous interrogerons avec Hume sur la nature de nos idées générales et abstraies et nous méditerons un beau paradoxe philosophique : Hume nie que nous ayons des idées générales ou abstraites: c'est dire que ce qu’on appelle un concept n’est rien ! Il n’y a que des idées particulières ou images, et des mots généraux qui les évoquent, mais auxquels ne correspondent pas de représentations générales (ce que nous avons appelé des concepts).

Ce détour nous permettra (mais une autre fois !) de mieux comprendre la nature des concepts et en quoi ils sont en effet d’un tout autre ordre que des images ou représentations sensibles.       

 

 

Séance du 14 mars 2012 : l'unité de dénomination est-elle sensible ou intellectuelle?

Nous faisons un long détour pour parvenir à comprendre ce que c’est qu’un concept (et ceci dans une perspective définie par Kant, un concept, une catégorie, ou, quand il s’agit des notions géométriques et mathématiques en général, un schème, mais nous n’avons pas encore envisagé cette année cette dernière notion).

Nous sommes arrivés à poser le problème de l’unité de dénomination : qu’est-ce qui fait que nous pouvons réunir sous un seul terme une diversité d’idées différentes ? Nous parlons tous des langues dont les termes sont généraux : nous pouvons réunir sous le nom « arbre » la diversité des idées particulières par lesquelles nous nous représentons des arbres. Comment est-ce possible ? La réponse de Hume, c’est que ces idées particulières ont entre elles une ressemblance. Et donc l’unité recherchée est sensible et non intellectuelle : l’unité de dénomination a pour principe quelque chose qui est encore d’ordre sensible et non pas proprement conceptuel. Il n’y a pas de concept d’arbre correspondant au mot arbre !

Je vais prendre le temps de montrer qu’en effet il peut y avoir quelque chose comme une unité sensible et non intellectuelle ou conceptuelle qui permet de réunir sous un terme commun diverses représentations. Ainsi les couleurs chaudes sont unifiées par un caractère sensible et non intellectuel. Et pour rendre compte de la correspondance sensible qui fait l’unité de cinq sens, nous relirons Baudelaire. 

La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

Charles Baudelaire, Correspondances, Les fleurs du mal

Concept, ressemblance et similitude

Une fois que nous aurons approfondi l’idée d’une unité sensible au principe de l’unité de dénomination, nous nous demanderons si, comme le dit Hume, c’est vraiment une ressemblance qui permet d’appeler simples toutes les idées simples et si nous pouvons nous passer de concepts comme il le demande.
Il y a là une réflexion assez difficile !

Ce sera donc l’occasion de montrer à des non-spécialistes sur quel type de problème achoppent les philosophes. Occasion d’apprendre à s’étonner sur ce qui d’ordinaire va de soi. La vraie philosophie ne répond pas aux questions que les hommes ont coutume de se poser avant d’avoir réfléchi et qui nourrissent les débats médiatiques (ou les modes philosophiques) : elle apprend à s’étonner de ce qui d’ordinaire va de soi, à s’interroger sur ce que précisément ces faux débats ne remettent jamais en question.

Nous suivrons (peut-être seulement le 28 mars) sur ce point Rousseau dont voici un extrait (célèbre !). 

L’objectif du cours est de montrer à partir de cette analyse ce qu’est l’unité intellectuelle ou conceptuelle pour passer de l’idée d’une unité conceptuelle ou intellectuelle, à celle d’unité de la conscience qui est au cœur de la Critique de la raison pure. 

 

 

Séance du 28 mars 2012 : Concept et Logique

Nous cherchons ce que c’est qu’un concept. Notre réflexion porte sur la nature de l’unité qui fait qu’un concept est un concept, c’est-à-dire rassemble sous lui une diversité de représentations.Après avoir compris en quel sens on pouvait parler d’une unité sensible, nous allons par la lecture de quelques pages de Rousseau mises en ligne la semaine dernière, comprendre que l’unité que nous cherchons est intellectuelle et comme telle irréductible au sensible.

Voici la manière dont Kant rendait compte de la même idée à ses étudiants dans son cours de Logique.     

 

 

Séance du 11 avril 2012 : la révolution copercinicienne

Nous poursuivrons notre réflexion sur l’idée d’une unité originairement synthétique de l’aperception : unité de la conscience qui n’est pas l’objet d’une psychologie empirique ou rationnelle.

Ce sera le moment de revenir sur l’idée de révolution copernicienne, c’est-à-dire de comprendre en quel sens l’objectivité requiert un sujet, et quelle est la nature de ce sujet.       

 

 

Séance du 9 mai 2012 : la révolution copernicienne, suite

Nous avons jusqu’ici esquissé l’idée de l’unité originairement synthétique de l’aperception à partir d’une réflexion sur ce que c’est qu’un concept. L’expérience elle-même requiert l’unification de la diversité sensible qui ne serait même pas une donnée pour la conscience si elle n’était « toujours déjà » unifiée. Tel est le sens kantien de l’a priori, a priori de l’a posteriori, pour reprendre une expression de Michèle Beyssade.

Nous allons reprendre cette théorie de l’expérience, qui montre que notre expérience est organisée par la raison et implique donc que nous reformulions la question du rapport du rationnel et de l’empirique. Nous comprendrons alors en quoi Kant pu qualifier son entreprise de "révolution copernicienne".

N.B. : j’ai mis l’accent sur la théorie kantienne de l’expérience parce que c’est un biais permet d’entrer dans la Critique de la raison pure. Cela ne signifie pas qu’il faille considérer que la Critique de la raison pure n’est qu’une théorie de l’expérience.       

 

 

Séance du 23 mai 2012 : Conclusion (provisoire) de l'atelier

Nous improviserons pour ce dernier cours de l’année une conclusion de ces leçons kantiennes.

Que signifie la distinction des noumènes et es phénomènes ? Pourquoi Eric Weil a-t-il raison d’insister sur la distinction de la pensée et de la connaissance ?

J’ai en effet cette année mis l’accent sur la limitation de la connaissance, et donc sur la fonction des concepts qui, même a priori, n’ont de sens qu’en tant qu’ils sont les principes de l’organisation de l’expérience. Cela ne signifie pourtant pas qu’une métaphysique qui est « pensée » et non « connaissance (au sens de la physique ou des mathématiques) soit possible.       

 

 

Les séances

Cours de philosophie pour "grands débutants", cet atelier démontre toutefois qu'introduire à une discipline ne revient nullement à en vulgariser ou en simplifier les contenus. Les séances archivées ici se proposaient en effet d'aider l'auditeur bénévole à surmonter les difficultés inévitables que rencontre quiconque désire réellement penser, sans laisser croire qu'un résumé de manuel nous en tiendra quitte. Mais si le débutant a sans doute besoin de courage et de soutien face aux embûches de langue, du moins avance-t-il ainsi plus sûrement que celui qui, parce qu'il se croit instruit ou affranchi de l'élémentaire, s'aveugle sans s'en rendre compte.

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On trouvera ici les notices et les enregistrements des 16 séances animées entre octobre 2009 et décembre 2010, ainsi qu'un ensemble de commentaires qu'avaient suscités les discussions entre les participants.

Les enregistrements sont également réunis en une liste de lecture sur notre compte Soundcloud. Malheureusement la troisième séance, celle du 25 novembre 2009, n'avait pu être enregistrée suite à un problème technique.

 

 

Séance du 21 octobre 2009 : La philosophie et l'opinion

La divergence des opinions nous révèle que nous ne pouvons nous fier à aucune d’entre elles : il faut donc chercher un principe supérieur à l'opinion pour trancher, c'est-à-dire un principe supérieur au « cela me paraît bon » ou du « si ça me plaît », commun au plus raisonnable et au fou.

Mais suffit-il que nous soyons devant la diversité des opinions pour prendre conscience de l’insuffisance radicale de l’opinion en général ? Que faut-il de plus ? Ou comment passons-nous de la conscience de la diversité des opinions à l'insuffisance de l'opinion en tant qu'elle n'est pas la vérité mais l'apparence de la vérité ? Il faut que la contradiction entre les opinions éclate, ce qui suppose que nous ne nous contentions pas de dire « ceci est vrai pour moi », ou « pour tel ou tel » : et par conséquent nous devrons comprendre qu’Epictète refuse le relativisme selon lequel chacun a sa vérité. Il nous faut assumer la divergence des opinions comme un conflit (le terme grec traduit ici par conflit est machè qui veut d’abord dire combat, bataille) ne pas nous contenter de la coexistence apparemment pacifique d’opinions sans communication possible entre elles. S’il y a d’un côté les Syriens avec leurs opinions, de l’autre les égyptiens avec les leurs, et moi, de mon côté, avec mes croyances, chacun se trouve enfermé dans son monde particulier : un dialogue entre nous est-il alors possible ?

Le cours s'appuiera sur deux textes d'Epictète, l'un sur l'idée d'opinion. Il sera également l'occasion d'évoquer le stoïcisme romain et l'idée socratique de philosophie.

 

 

Séance du 10 novembre 2009 : le scepticisme philosophique

"Le scepticisme est l’aspect libre de toute philosophie" Hegel 

Nous avons pu nous rendre compte lors de la première séance que l’élémentaire n’était pas nécessairement facile. La discussion en effet nous a conduits dans une impasse, ce qu’en grec on appelle une aporie, si bien qu’en un sens mon dessein socratique a été parfaitement rempli : nous voilà plus perplexe qu’avant de commencer. Et certes il ne faudrait pas que pour me vanter de réussir mon coup je prenne l’habitude de me réjouir de produire seulement la perplexité de mon auditoire. (On pourra du reste se reporter à une première mise au point sur l'enjeu de cette discussion.)

Le second cours portera donc sur le scepticisme, non pas le scepticisme mou, cette sorte d’indifférence à la vérité et de renonciation à toute exigence, mais le scepticisme comme grand moment de la philosophie : le refus de faire passer pour vérité ce qui n’est qu’une apparence de vérité.

Nous partirons de ce qui a été dit pendant la discussion sur les deux sens du mot apparence, nouvel exemple de distinction. Apparence peut vouloir dire manifestation (manifestation de la vérité), ou faux semblant (un semblant de vérité). S’il est impossible de distinguer entre ce qui me semble vrai et ce qui est vrai, nous devrons toujours dire non pas « cela est vrai », mais « cela me semble vrai », et ainsi nous serons sceptiques.

Nous renvoyons ici le lecteur à la caricature géniale que MOLIERE nous donne du philosophe sceptique dans Le mariage forcé ; ainsi qu'à cette brève note historique.

 

 

Séance du 25 novembre 2009 :  Y a-t-il une morale sceptique?
 

Pourquoi le scepticisme le plus radical débouche-t-il sur une morale ? C’est que l’honnêteté intellectuelle suffit pour constituer toute la morale : une tout autre vie s’ouvre devant celui qui décide de ne jamais se laisser aller à croire ou à tenir pour vrai ce qu’il ne comprend pas vraiment, pleinement.

Nous aurons à comprendre que nos folies ne sont pas imputables à on ne sait quelles pulsions ou passions qui nous pousseraient comme des ressorts poussent une montre, mais qu’elles viennent de ce que nous prétendons à la vérité dans cela même que nous ne comprenons pas et d’abord dans le jugement que nous portons sur ce qui est pour nous un bien ou un mal. Le sceptique véritable ne cesse de s’entraîner, à force d’opposer entre elles toutes les thèses, à suspendre son jugement. Il subit par exemple le froid, comme tout le monde, mais il ne prétend pas que ce soit autre chose qu’une impression, une apparence, et il ne se prononce pas sur la question de savoir si c’est un bien ou un mal, de telle sorte qu’il souffre moins que celui qui, persuadé que c’est un mal, redouble ainsi la douleur par son « dogmatisme ».

Ce qu’on appellera l’engagement est le contraire de la morale sceptique. Le plus difficile pour la plupart d’entre nous est donc de comprendre cette liberté absolue de l’esprit qui s’élève au-dessus de toutes les passions et de tous les jugements et vit selon la coutume sans lui donner la moindre approbation. Une telle liberté se retrouve chez Montaigne ou dans la morale par provision de Descartes.

Nous ne pouvons ici mettre en ligne le début des Esquisses pyrrhoniennes de Sextus empiricus, qui rend compte de la morale sceptique, parce que la difficulté de ces pages rebuterait plus d’un lecteur normalement constitué. Mais nous ne nous priverons pas de les paraphraser.  

Ce cours n'ayant pu être enregistré, nous renvoyons aux notes fournies par Jean-Michel Muglioni. 

 

 

Séance du 9 décembre 2009 : "pour douter, il faut être certain" Alain

Ce dernier cours de l'année 2009 reprendra d'abord ce qui a été dit la dernière fois lors de la discussion : que suivre le coutumes et obéir aux lois de son pays n'a rien à voir avec l'obéissance servile aux ordres d'un tyran ou d'un état totalitaire.

Puis nous redirons que le scepticisme et le doute sont un moment fondamental de la pensée : qui ne soumet pas ses propres pensées à l'épreuve doute ne pense pas.

Nous pourrons donc revenir sur ce qui distingue le doute véritable et la renonciation relativiste à la vérité, chez tous ceux qui comme Ponce Pilate demandent : « qu'est-ce que la vérité ? ». Douter, c'est le contraire de refuser de distinguer le vrai du faux. Au fond le sceptique oublie de réfléchir sur son propre doute : seul un esprit capable de vérité peut douter.         

 

 

Séance du 06 janvier 2010 : "quand il n'y aurait pas de Dieu, nous devrions toujours aimer la justice", Montesquieu


Arrivés au terme de notre réflexion sur le scepticisme, et à la demande des participants au cours, nous allons réfléchir désormais sur la notion de droit naturel et de nature humaine.

Pour commencer la nouvelle année, voici une page de Montesquieu, à partir de laquelle nous nous demanderons si la justice est conventionnelle ou naturelle. C’est un beau point de départ pour comprendre l’idée de doit naturel.

 

 

Séance du 20 janvier 2010 : que veut dire "universel"?

Nous avons vu que Montesquieu affirmait non seulement l’universalité des principes de toute morale, mais aussi l’universalité du sentiment que ces principes font naître dans le cœur des hommes : il est question du sentiment que tout homme éprouve s’il est juste, donc d’un sentiment naturel.

La discussion qui a clos le dernier cours a amené certains auditeurs à s’étonner d’une telle position.

Car enfin, comme Montesquieu le savait et le disait lui-même, il semble que le plus souvent les hommes se moquent de tels principes. Ne faut-il pas dire que leurs intérêts les plus bas l’emportent généralement sur la justice ? Et, objection sur laquelle il faudra revenir, l’universalisme de Montesquieu n’est-il pas en fin de compte l’attitude d’une époque – une manière de faire passer pour universel ce qui n’est qu’un type particulier de morale et de politique ?   Sur ce point, j'esquisse déjà une triple réponse.

Nous allons dons réfléchir sur cette idée qu’il n’y a au fond de principe que moral et nous verrons même que c’est du côté des choses morales et du droit que la notion de principe a sa vérité : si nous nous en tenions seulement à l’arithmétique et à la géométrie, nous pourrions en effet rester sans principe. Mais que serions-nous sans principe, et aurions-nous l’honnêteté de faire la moindre addition correcte ?

En guise de réflexion préparatoire, je propose donc que chacun lise une page de Victor Hugo qui peut donner à penser ce qu’est une raison sans principe. Elle est assez dure pour ceux qui croient qu’il n’y a de rationalité que scientifique et que la justice, la simple honnêteté, est seulement une affaire de croyance. C’est, tirée de Choses vues, une réflexion sur la mort de Talleyrand qui dit bien ce qu’est un homme dont la raison est coupée de toute exigence morale. Bref un cerveau.       

 

 

Séance du 3 février 2010 : la relativité des moeurs et des coutumes

François Mitterrand étant Président de la République, Michel Rocard Premier Ministre, Lionel Jospin Ministre de l’éducation nationale, de la recherche et des sports, parut le 8 mars 1989 un rapport intitulé Principes pour une réflexion sur les contenus de l'enseignement, connu sous le nom de rapport Bourdieu-Gros sur l'enseignement. J’en dispose parce qu’il a été adressé alors à tous les professeurs. J’ai donc dû le lire et j’ai trouvé ceci, au chapitre intitulé Septième principe :

« La recherche de la cohérence devrait se doubler d'une recherche de l'équilibre et de l'intégration entre les différentes spécialités et, en conséquence, entre les différentes formes d'excellence. Il importerait en particulier de concilier l'universalisme inhérent à la pensée scientifique et le relativisme qu'enseignent les sciences historiques, attentives à la pluralité des modes de vie et des traditions culturelles. »

Nous réfléchirons sur les enjeux d’une telle négation de l’universel en dehors des sciences positives : par exemple, la diversité des mœurs et des institutions signifie-t-elle que la justice est relative, et qu’en conséquence la prétention à l’universalité exprimée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’est qu’un préjugé ethnocentriste ?

La renonciation à l’universel caractérise l’idéologie qui a dominé le monde depuis un siècle. Une certaine forme de scientisme qui réduit la rationalité à ce qu’elle est dans le champ des sciences positives, mathématiques et expérimentales, a sans doute été plus efficace pour détruire les Lumières que l’irrationalisme. Mais de même coup on comprend qu’un même homme puisse être ingénieur ou même chercheur et intégriste en matière de religion jusqu’au terrorisme.

Cette remarque polémique a seulement pour but de montrer les enjeux d’une analyse de notion et d’une réflexion en apparence scolaire et très élémentaire sur des termes comme universel et particulier. Nous comprendrons que l’universel se réalise dans le particulier et que le particulier coupé de l’universel n’est rien – comme nous avons vu que poser la différence sans l’identité n’a pas de sens.


Nous reviendrons donc sur le relativisme, qui est contraire à l’idée d’universalité des droits de l’homme. Puis nous réfléchirons sur l’idée de principe, et là encore de manière élémentaire : comme l’indique fort bien le Robert, il est essentiel de se garder contre une confusion aujourd’hui courante entre pétition de principe et déclaration de principe. Un principe n’est pas un préjugé ou une proposition gratuite !

Voici, pour préparer notre réflexion, une page fort célèbre d’Hérodote (482 ?-425) qui montre que la relativité des coutumes est une chose connue depuis l’antiquité grecque – au moins. Nous ne devons rien sur ce point à quelque science nouvelle, ethnologique ou sociologique, sinon de poursuivre l’enquête.        

 

 

 

Séance du 17 février 2010 : l'univers et l'universel

 

L’exigence morale et politique de justice s’accorde-t-elle avec la nature humaine, et une politique pragmatique, empirique, ne vaut-elle pas mieux qu’une politique fondée sur de principes ? Un certain réalisme ou pragmatisme politique considère en effet les idées comme des chimères, c’est-à-dire comme des produits de l’imagination, et vouloir l’égalité serait parfaitement irrationnel, comme est irrationnel un désir fou, contraire à la nature des choses et à la nature humaine. Je n’ai pas traité cette question mais seulement indiqué quelques pistes de réflexions et quelques difficultés de vocabulaire. Le terme de « réalisme » est particulièrement équivoque, par exemple.

Je rappellerai ici seulement un point essentiel. La physique moderne a été conquise contre l’expérience première, qui est, selon une expression de Gaston Bachelard, un obstacle épistémologique. Par exemple la chute d’un corps nous paraît dûe à sa lourdeur, que nous éprouvons lorsque nous le soulevons. Or Galilée comprend que la lourdeur est au contraire l’effet de la chute. De même comprendre que la terre tourne autour du soleil, c’est aller contre l’expérience ordinaire qui nous montre en effet que le soleil se lève le matin et parcourt le ciel pour se coucher le soir : c’est lui que nous voyons bouger. Ou encore Lavoisier découvre que l’air qu’on croyait être un élément est mélange, etc. Toutes ces découvertes sont l’œuvre de l’intelligence, et requièrent des concepts. Cesser de croire en la génération spontanée a demandé un combat difficile. Se délivrer des superstitions est une tâche de pensée considérable. Pourquoi la réalité politique pourrait-elle être connue et comprise sans idées, sans concepts, sans théorie ? Suffirait-il d’être au charbon pour connaître la composition du charbon ? On est donc pratiquement certain qu’un homme qui, se prétendant réaliste, qui méprise les idées et la théorie, ne fait que rêver.

Cette question ne nous éloigne pas de notre propos, qui est l’universel. Car on oppose l’universalité, dite abstraite, à la multiplicité des choses réelles, dites concrètes, qui sont en effet toutes particulière. Or le rapport de l’homme au monde est un rapport au tout du monde, à l’univers : univers et universel, la parenté des termes est riche de sens. J’ai donc rappelé que l’homme n’est pas seulement un être vivant dans un milieu particulier, mais qu’il est capable de devenir astronome ou tout simplement de contempler le ciel : ainsi appartient à son monde même dans ce qu’il n’est pas lié à son milieu biologique ou écologique : il s’élève à l’idée du monde. Ainsi nous n’avons pas seulement affaire à une représentation particulière du monde, qui ne serait qu’un phénomène socioculturel, mais nous sommes capables de connaître le monde lui-même. Quand même nous prendrions conscience que notre cosmologie n’est pas encore suffisante ou qu’elle est provisoire, en attendant d’autres découvertes, il faut pour parvenir à cette conscience de l’insuffisance de notre représentation du monde, que nous n’en soyons pas prisonniers – que cette représentation soit celle d’une société donnée – un mythe – ou celle que la recherche scientifique adopte à un moment donné de son histoire. Il y a un rapport originaire de la pensée au monde au fondement de notre conscience, qui par là, et par là seulement, peut juger ses représentations et tout ce qu’une société l’amène à croire. L’universel n’est pas une chimère ou une violence faite au particulier, il est au cœur de la pensée ce qui fait d’elle une pensée. On notera du même coup que la philosophie n’est pas ce qui apporterait une vision du monde mais au contraire ce qui permet de juger toute vision du monde.       

 

 

Séance du 17 mars 2010 : l'exigence morale

 

Poursuivant notre réflexion sur l’universel, nous allons essayer de comprendre que le soupçon qui s’exprime à l’égard de l’universalité de la justice et de l’idée de principe moral et politique n’est pas l’expression d’une véritable exigence intellectuelle : un tel soupçon n’a qu’une apparence de rigueur, et il n’a pas plus de sens que la question de Ponce Pilate, « qu’est-ce que la vérité ? ».


Je voudrais donc montrer que le vrai sens de l’universel n’est pas dans les sciences positives, mais dans l’exigence morale.

Je soutiendrai que la rationalité de l’action ne se réduit pas au calcul. Certes, la raison permet de calculer quels sont les moyens d’obtenir ce que nous désirons. Mais il y a une rationalité de la décision qui est d’un autre ordre que ce genre de calcul, et qui concerne le jugement porté sur les désirs et les fins. Non pas donc la raison calculatrice, celle qui peut même élaborer des théories mathématiques de la décision, mais la rationalité dans le choix des fins, qui préside au jugement que nous portons sur nous-mêmes. Ainsi il peut arriver que nous ayons par le calcul l’assurance de réussir un coup dont pourtant nous avons honte : alors non seulement la raison nous condamne, mais sa condamnation est inséparable en nous d’un sentiment. Il y a là une rationalité irréductible à la rationalité « scientifique », qui est constitutive du vrai sens de l’universel (et par là de l’unité du genre humain comme genre moral et non pas seulement comme espèce physique ou biologique). Et il faudra donc considérer que nous n’avons pas ainsi seulement une représentation intellectuelle de ce que nous avons à faire : ce qui caractérise au contraire la rationalité pratique est qu’elle est inséparable d’un sentiment par lequel elle mobilise la volonté de l’être sensible que nous sommes. Cet étrange sentiment que produit sur nous les représentations de la raison est le respect, sur lequel Benjamin a demandé que nous réfléchissions. Nous y parviendrons donc.

Par là nous répondrons à la question posée par celui d’entre vous qui se demandait si un sentiment comme la honte n’est pas seulement l’effet d’une éducation et donc un préjugé social, et si du même coup tout ce qui est d’ordre moral ne doit pas en fin de compte être considéré comme psychologique.


Cette réflexion sur l’universel aboutit donc à une des questions les plus difficiles de la philosophie, qui est celle de savoir quelle est la vraie nature de la sensibilité. Car s’il y a une universalité de notre manière de sentir (par exemple dans le sentiment de la honte, mais aussi, nous le verrons dans le plaisir procuré par la beauté des produits de l’art ou de la nature), il ne suffira pas de dire que nous avons tous la même constitution naturelle, comme c’est le cas de tous les animaux d’une même espèce. Ce ne serait qu’une universalité relative à l’espèce humaine. L’universalité au cœur du sensible signifie qu’en tant qu’être sensible l’homme n’est pas seulement un animal : bref, il n’y a pas entre le sensible et le spirituel de contradiction. C’est la raison pour laquelle les plus hautes exigences spirituelles des hommes s’expriment dans des œuvres et des symboles, c’est la raison pour laquelle le corps humain est l’homme même et non quelque avatar provisoire dont il faudrait regretter que l’âme soit munie.

 

 

Séance du 31 mars 2010 : le respect

Nous reprendrons l’idée que la vérité de l’universel est dans sa signification morale, c’est-à-dire dans la reconnaissance en chacun de sa liberté : le respect mutuel. Nous reviendrons sur des distinctions déjà rencontrées : unanime et universel ; moral et psychologique ; rationalité pratique ou morale et rationalité théorique ou scientifique. Et pour élucider ces distinctions, je reviendrai sur la notion d’intime conviction, qui, à l’occasion d’un procès en Assises, vient d’être à nouveau utilisé à tort et à travers. Nous retrouverons par là l’idée d’une objectivité de la justice.

Chacun comprend en effet que s’il était vrai que les jurés doivent juger selon leur opinion et décider en l’absence de preuves réelles et sans se référer à la loi, mais selon leur évaluation subjective du crime, la justice ne serait qu’ne parodie de justice : ce qui veut bien dire qu’il est vain de prétendre que la notion de justice est subjective.

Après une rapide réflexion sur l’idée de dialogue, nous en viendrons à la notion de respect, que nous considérerons d’abord à partir de la distinction pascalienne entre respect d’établissement et respect d’estime.  L'auditeur se reportera également à la réflexion qui a prolongé cette séance.

 

Séance du 14 avril 2010 : que signifie le respect de l'autre?

Je prendrai pour point de départ ce que nous avons déjà vu, quand nous avons élucidé l’idée d’universalité, à savoir ceci que l’affirmation de l’universel et l’affirmation de la singularité de la conscience sont inséparables. Nous essaierons donc de comprendre ce nous disons lorsque nous disons « je ». Que signifie la singularité absolue du « je » ? Que nul ne peut dire « je » à la place d’un autre. De là il résulte qu’autrui n’est pas seulement « différent », il est radicalement « autre », et il est autre précisément parce que comme moi il peut dire « je » : il est « autre » parce qu’il est mon semblable.

De là les métaphores de la proximité (le prochain, c’est tout homme en tant qu’il est mon semblable) et de la distance : il y a une séparation radicale des consciences et le respect impose que nous gardions nos distances, comme on dit.

Nous aurons donc à réfléchir sur la séparation des consciences, leur lutte pour la reconnaissance, l’idée de communion, qui signifie l’abolition des consciences, et le respect enfin qui suppose que nous respections chacun cette séparation, que nous sachions maintenir une distance qui seule garantit la proximité – notre similitude.       

 

 

Séance du 12 mai 2010 : le moral et le psychologique


Nous en sommes à essayer de comprendre ce qu’est le respect de soi-même : les devoirs envers soi-même fondent les devoirs envers autrui.

La réflexion portera essentiellement sur la distinction de ce qui est d’ordre psychologique et de ce qui est d’ordre moral. C’est une distinction considérable. Si en effet nos croyances morales ne sont par exemple que l’effet de notre éducation ou l’expression de notre tempérament, alors l’idée même de moralité n’a pas de sens. Si au contraire elle a un sens, alors il doit y avoir des sentiments qui ne sont pas seulement d’ordre psychologique, ce qui ne peut d’abord paraître que comme une contradiction dans les termes.

Ainsi, comme toute distinction, la distinction du moral et du psychologique est la positon d’un problème. Comme toujours l’analyse philosophique complique les choses ! Pour conclure une année consacrée à des distinctions élémentaires, il importe de montrer que la philosophie n’est pas faite pour apporter des solutions mais pour nous apprendre à nous défier des fausses évidences.

 

 

Séance du 13 octobre 2010 : Connaissance par ouï-dire et compréhension personnelle

Les philosophes qui passent pour les plus difficiles ont pris la peine de s’arrêter parfois assez longuement sur des distinctions élémentaires qui paraissent aller de soi et ne pas mériter qu’on les médite. Nous allons lors de cette première séance réfléchir sur la différence qu’il y a entre connaissance par ouï-dire et connaissance rationnelle. Quelles sont les conséquences d’une telle distinction ?

Nous n’en envisagerons que quelques unes tant elles sont considérables.

Réfléchissez avant de venir au lycée Dorian à ceci : que penserait-on d’un homme qui dirait qu’il croit que 2+2 font 4 parce qu’on le lui a dit, mais qui n’aurait jamais compris ce que cela voulait dire ? Ou bien considérerait-on comme un mathématicien celui qui pourrait réciter un théorème sans savoir quelles sont les raisons qui ont permis de le conclure ?

Ne confondons pas ce que nous « savons » parce que nous faisons confiance à celui qui nous l’a dit ou au livre où « c’est écrit », et ce que nous savons d’un savoir qui seul mérite le nom de savoir, et qui repose donc sur le jugement personnel et libre, sur la libre compréhension d’un contenu de vérité.


Où l’on voit que le progrès des sciences ne nous a pas nécessairement délivré d’une manière servile de croire qui fait souvent de la religion un esclavage, puisqu’il nous arrive d’admettre nombre de « résultats » que nous disons « scientifiques » quoique, en réalité, nous n’en « sachions » rien. Et beaucoup vont jusqu’à confondre information et connaissance, jusqu’à croire qu’une « banque de données » rend savants !

Et donc « osons savoir » : osons ne tenir chacun en nous-mêmes pour un savoir que ce dont nous sommes capables de rendre raison, ce que nous comprenons réellement : la philosophie est d’abord la décision d’être responsable de ses propres pensées. « Sapere aude : ose savoir, aie le courage de te servir de ton propre entendement, telle est la devise des Lumières. » (Kant, Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières 1784).

AVIS AUX LECTEURS

Lisez ensemble l’Apologie de Socrate de Platon et la première partie du Discours de la méthode de Descartes. Faites le parallèle entre l’ignorance socratique – Socrate interrogeant les athéniens et découvrant que leurs prétendus savoirs ne sont pas de savoirs, et l’histoire de ses pensées par laquelle Descartes introduit sa méthode, ayant découvert que tout ce qu’il a cru être un savoir n’était au fond que préjugé. 

 

 

Séance du 10 novembre 2010 : Croire et savoir

La discussion qui a suivi la première séance a permis de voir que la distinction élémentaire que j’ai tâché d’élucider (entre connaissance rationnelle et connaissance par ouï-dire) mettait enjeu une idée de la raison et du savoir et donc toute la philosophie.

Une intervenante a judicieusement rappelé qu’il n’y a pas d’enseignement sans la confiance des élèves en leur maître. J’avais dit en effet que comprendre est d’un autre ordre que croire quelqu’un parce qu’on lui fait confiance : je ne voulais pas dire que toute confiance se réduise à croire quelqu’un sans être capable de juger par soi-même du bien fondé de ses propos. Ainsi suivre un guide en montagne, c’est lui faire confiance, mais il faut bien que nous marchions nous-mêmes et que nous nous assurions que le sol nous porte, ce n’est pas la même chose qu’être porté par le guide : de même l’enfant qui suit une leçon fait confiance et emboîte en ce sens le pas de son maître, mais c’est bien lui qui avance en fonction de ce qu’il comprend. Il faut donc distinguer la confiance en effet nécessaire de l’apprenti, et la confiance aveugle du perroquet dont je parlais. Ce qui rejoint le propos d’un autre intervenant qui insistait sur le caractère critique d’un savoir dont la constitution suppose le dialogue.


Mon propos reposait en partie sur l’exemple des mathématiques les plus élémentaires. Or il est vrai que tout ne se réduit pas à l’ordre des raisons de la géométrie (il y a des connaissances empiriques comme l’histoire ou la géographie) : eh bien qu’on ne noie pas les apprentis dans un fatras d’informations et qu’on se contente de donner les éléments qui lui permettront de se repérer et de juger, par exemple la chronologie en histoire et les cartes en géographie.

Il est vrai aussi que dans le cadre de la recherche scientifique, comme l’a indiqué un intervenant lui-même chercheur, il est inévitable d’utiliser des résultats dont on ne peut pourtant rendre raison. Grâce à cet intervenant nous avons pu voir qu’alors il fallait formuler une autre idée de la recherche scientifique que l’idée de science dont je partais avec les Anciens. Enjeu considérable, dont je propose ici seulement une autre formulation : ce que j’appelle science se nommerait aujourd’hui culture scientifique, et notre chercheur nous a dit que parmi ses collègues étrangers certains ne parvenaient pas à en comprendre l’intérêt. La question est aussi de savoir dans quelle mesure, l’ensemble des recherches scientifiques constituant un ensemble de savoirs que personne ne peut embrasser, on peut encore parler de science faute de point de vue encyclopédique – terme alors rappelé par Frédéric. C’est un point sur lequel il faudra revenir, comme sur la question de savoir ce qu’est la nature d’un savoir seulement empirique (et même si un tel savoir est possible).

Distinguer connaissance rationnelle et connaissance par ouï-dire, ce n’est pas refuser de prendre en compte des connaissances qu’on ne maîtrise pas de part en part – ce qui au demeurant rendrait la vie impossible – mais c’est jurer de ne pas prendre en soi-même pour « scientifique » ce qu’en réalité on ne comprend pas vraiment, et ainsi se garder de cette sorte de superstition qui fait admettre n’importe quoi sans jugement, au point que les vérités scientifiques s’imposent alors comme celles de la foi et de ses mystères. Mais la foi au moins ne se donne pas comme scientifique ! Nous avons donc pu comprendre que l’enjeu de notre distinction était aussi politique et morale : si l’école a pour finalité la liberté des esprits, elle n’a pas à être obsédée par la recherche scientifique mais à veiller à instruire les enfants, c’est-à-dire à leur apprendre à penser.

Je vais poursuivre cette réflexion par l’étude d’un exemple : ce qu’il est convenu d’appeler la révolution copernicienne. Je voudrais monter qu’à peu de frais il est possible d’en comprendre le principe ainsi que l’enjeu – tout une représentation du monde se trouve en effet bouleversée –, au lieu que répéter sans savoir ce qui permet de dire que la terre tourne autour du soleil est non seulement peu intelligent, mais conduit inévitablement à de graves contresens. Je soutiens qu’il est possible avec de jeunes élèves de montrer quel rapport il y a entre l’hypothèse copernicienne et ce qu’ils voient lorsqu’on leur a appris à regarder le ciel. 

 

 

Séance du 24 novembre : La révolution Copernicienne

Nous avons commencé une réflexion sur la révolution copernicienne pour montrer quelle différence il y a entre un savoir réellement compris et un pseudo-savoir. Ce faux savoir est le nôtre lorsque nous répétons les résultats d’une science sans être capables d’en rendre raison.

Premier exemple traité : dire qu’avec Copernic et Galilée, on passage du géocentrisme à l’héliocentrisme risque faire contre sens. Il n’est pas vrai que cette découverte, du moins telle qu’elle a été comprise à partir de Galilée, se réduise à un changement de centre : il en résulte au contraire qu’il n’y a plus de centre du monde. La signification de la position centrale du soleil dans ce qu’on appelle le système solaire n’a rien de commun avec la position centrale de la terre dans l’astronomie et les cosmologies antiques et médiévales.

Du même coup, nous l’avons vu, le rapport de l’homme au monde est complètement bouleversé (et certes ce qui est présenté ainsi comme une rupture brusque n’a pu être accompli qu’en plusieurs siècles : les conséquences de cette « révolution » ne sont pas apparues toutes en même temps).

Je vais le 24 novembre revenir sur la transformation du rapport de l’homme au monde qui résulte de la nouvelle astronomie. Nous avons déjà vu qu’elle abolit la différence du céleste et du terrestre : le ciel perd son caractère divin et n’est plus fait que de feux et de terres, comme le disaient les matérialistes antiques, Démocrite ou Epicure. L’astronomie peut maintenant devenir une astrophysique.

Pour remplir le programme annoncé, qui est de comprendre pour quelles raisons les astronomes ont fini par trouver le géocentrisme insuffisant, et sur quoi se fonde la nouvelle astronomie, il faudra rappeler quelques éléments simples de cosmographie : que voit-on lorsqu’on regarde le ciel la nuit ? Et comment a-t-on pu se repérer au milieu de tant de point lumineux, et suivre leurs mouvements ? Il faut l’œil et la géométrie.

La description du ciel et la découverte de l’ordre et de la régularité qui y règnent ont permis de s’étonner du désordre et de l’irrégularité du mouvement des quelques astres qu’on a pour cette raison appelé planètes, ce qui veut dire en grec « errant ». Alors se pose le problème du mouvement des planètes.

Nous esquisserons la solution de ce problème donnée par Ptolémée (et les épicycles qui avaient déjà été proposés par Hipparque) et nous reviendrons sur le sens de l’astronomie antique à partir de quelques mots célèbres de Simplicius (voir la page des citations).
Alors nous pourrons passer à Copernic et Galilée. Pour cela nous partirons des quelques lignes d’Alain qui figurent aussi dans la liste des citations mise en ligne. C’est à partir delà que nous comprendrons pourquoi on en est venu à dire que la terre elle-même était une planète et qu’elle tournait autour du soleil.

Un rapide examen de la découverte des phases de Venus nous permettra de bien comprendre quel changement a lieu alors dans le sens même des mathématiques. La géométrie n’est pas du tout utilisée par Galilée comme par les astronomes antiques. Nous aurons donc (mais sans doute une autre fois, à voir comment ce nouvel usage des mathématiques a permis la naissance de la physique moderne, expérimentale parce que mathématique).

Nous examineront les tenants et les aboutissants de l’invention par Galilée de la lunette astronomique. Il conviendra aussi de voir comment le principe de l’inertie signifie lui aussi l’éclatement du monde.


Nous examinerons à très gros traits les conséquences de cette révolution dans le rapport de l’homme au monde sur son orientation : car notre orientation dans le temps et dans l’espace repose sur ce que nous voyons dans le ciel. L’orient, c’est le point du ciel où le soleil se lève : il faut le soleil, le jour, et les étoiles la nuit, pour s’orienter dans l’espace. La régularité du mouvement des astres permet seule de constituer un calendrier qui rythme la vie des travaux et des fêtes, de l’économie et de la politique. Il est donc inévitable qu’un bouleversement dans la conception astronomique de l’univers entraîne un bouleversement dans l’orientation de l’homme dans le monde – et peut-être même ce bouleversement le désoriente-t-il, puisque c’en est fini, nous l’avons déjà vu, mais très vite, de la « sagesse du monde ». Il est devenu impossible de trouver dans le monde compris comme cosmos, c’est-à-dire ordre et beauté, le modèle pour l’âme et la cité de l’ordonnance et de l’harmonie qui fait leur bonheur.    

 

Séance du 15 décembre 2010 : une superstition de la science?

Nous considérons un exemple de connaissance scientifique afin de voir quelle différence il y a entre comprendre et répéter des résultats qu’on ne comprend pas véritablement. Cette distinction paraît aller de soi : elle paraît si simple qu’on pourrait croire d’abord qu’elle ne présente aucun intérêt.

Qu’avons-nous vu ? Ignorer les raisons de l’hypothèse selon laquelle la terre se meut autour du soleil et se contenter d’opposer géocentrisme et héliocentrisme, interdit de comprendre quel rapport il y a entre cette hypothèse et ce qu’on voit s’il regarde le ciel. Connaissant le résultat sans la démarche on est totalement étranger au monde que cette hypothèse permet de connaître. J’ai soutenu que si cela n’est pas appris dans les écoles, ce n’est pas par accident mais parce qu’il n’y a pas la volonté d’instruire.

Nous avons aussi montré l’enjeu de la compréhension de cet exemple – il est si l’on veut « trop exemplaire » par son importance historique – à savoir la transformation radicale du sens de notre rapport au monde : le passage d’un monde clos à un univers infini (comme le dit le titre d’Alexandre Koyré), la transformation aussi du sens de la géométrie dans la pratique de l’astronomie.


Pour plus de clarté et pour faire comprendre mon insistance sur un travail qui porte sur des notions élémentaires et qui parait inutile aux « savants », je vais suivre pour ce dernier cours avant Noël les analyses de Condorcet et de Simone Weil.

Tous deux ont une haute idée de la science, pour tous les deux, savoir, c’est comprendre. Condorcet en tire la conséquence que l’enseignement de la physique est essentiel pour délivrer les hommes de la superstition, du cléricalisme dont elle fait le jeu, et du despotisme auquel superstition et cléricalisme aboutissent inévitablement. Mais aussi qu’une école qui apprend à croire même les vérités utiles ne peu faire que des esclaves.

Simone Weil, 140 ans plus tard, en élève d’Alain, voit dans la communauté scientifique une nouvelle forme de clergé et dans la science une nouvelle superstition. Alors s’en est fini de l’espoir soulevé par la révolution française de libérer le peuple par l’instruction.

Peut-être le tour qu’a pris la recherche scientifique - rappelons-nous le mot de Brochard cité au début de l’année : « il faut bien en convenir, dans les sciences de la nature, nous savons sans comprendre » - est-il le principe de l’abandon chez nous de l’instruction publique.  

 

      

Lire Aristote : les séances

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On trouvera ici les notices et les enregistrements des 13 séances du cours dispensé par Jean-Michel Muglioni lors de la première année de l'Université Conventionnelle. Une présentation générale du cours est accessible iciOn trouvera sur notre compte Soundcloud une liste de lecture rassemblant les 13 enregistrements ci-dessous ; Septembre archive également une collection d'extraits choisis d'Aristote ici.

 

Séance du 15 octobre 2008

Pourquoi lisons-nous les philosophes antiques, si nous n'envisageons pas de faire un travail historique ou philologique ? Il faut que ces textes présentent pour nous un intérêt philosophique et même moral (puisqu'il s'agit d'une éthique) : de telle sorte qu'au lieu de juger du passé par nos propres préjugés (anachronisme dont nous donnerons des exemples dans les
jugements souvent portés sur les anciens), nous nous délivrerons par ce voyage dans le temps des manières de penser que le hasard de notre naissance nous a imposées . 

Par exemple nous commencerons à réfléchir sur la notion de loisir, scholè en grec, c'est-à-dire école, vie scolastique ou vie consacrée à la pensée, vie philosophique, principe et fin de l'éthique aristotélicienne, et du même coup nous serons amenés à nous demander si une
société fondée sur le travail et les affaires peut satisfaire un homme qui réfléchit.

 

 

Séance du 13 novembre 2008

Le second cours insistera sur l'idée que la vie philosophique ou spéculative est le plus grand des biens, et pour cette raison le principe en fonction duquel toute activité humaine est évaluée, de telle sorte que le livre X et final de l'Ethique à Nicomaque commande l'ensemble de l'œuvre. La page de l'Ethique à Eudème déjà mise en ligne le dit aussi. On pourra méditer les premiers mots de la Métaphysique d'Aristote : 

Méta A, 1, 980 a 21, trad. Tricot Vrin

« Tous les hommes désirent naturellement savoir ; ce qui le montre, c’est le plaisir causé par les sensations ; car, en dehors même de leur utilité, elles nous plaisent par elles-mêmes, et, plus que toutes les autres, les sensations visuelles. En effet, non seulement pour agir, mais même lorsque nous ne nous proposons aucune action, nous préférons, pour ainsi dire, la vue à tout le reste. La cause en est que la vue est, de tous nos sens, celui qui nous fait acquérir le plus de connaissances et nous découvre une foule de différences. » 

Jules Barthélemy-Saint-Hilaire – traduit : le plaisir que nous prenons aux perceptions des sens. On pourrait traduire : c’est qu’ils aiment percevoir.

 

 

Séance du 27 novembre 2008

Le cours commencera par un bref rappel sur l’idée de vie. On trouve en ligne sur le site de l’université une conférence qui permet de poursuivre cette réflexion. 


Ensuite nous essaierons de comprendre ce qu’Aristote appelle éthique. D’une part, comme dans toutes les philosophies antiques, l’éthique aristotélicienne a pour fin le bonheur personnel du sage. D’autre part il faut entendre par éthique au sens strict l’amitié en l’homme de la part rationnelle et de la part non rationnelle de son âme, l’union de l’intellect et du désir. L’excellence éthique ainsi conçue et pratiquée porte la sagesse spéculative, la vie philosophique. 

Nous ajoutons enfin une mise au point sur des difficultés soulevées durant la séance.

 

 

Séance du 11 décembre 2008

Le quatrième cours commencera par une mise au point sur la nature du travail que représente la lecture d’Aristote et la pratique de la philosophie, et sur les difficultés qui leur sont inhérentes. Car les grands débutants ne doivent pas s’en étonner. 

Il reprendra avec le commentaire de la page de l’Ethique à Eudème mise en ligne. 

Si nous avons le temps, nous esquisserons l’analyse de la notion de finalité. 
Il conviendrait aussi de comprendre comment la philosophie grecque, depuis Platon au moins, a renversé les notions de liberté et d’esclavage : la sagesse n’est pas dans le pouvoir sur les autres mais dans le pouvoir sur soi, de sorte qu’on rencontre généralement les vrais esclaves chez les puissants.

 

 

Séance du 8 janvier 2009

Nous n’avons jusqu’ici que très peu suivi la lettre de l’Ethique à Nicomaque. Je n’ai proposé qu’une sorte d’introduction. J’ai essayé de donner à chacun les moyens de faire cette lecture que nous n’avons pas le temps d’entreprendre ensemble. Je tâcherai ce jeudi 8 janvier, comme chaque fois, de proposer des analyses compréhensibles même pour ceux de nos auditeurs qui n’ont pu suivre les cours précédents. 

Nous lirons le chapitre 1 du livre I (jusqu’à 1094b10) et suivrons l’analogie des arts et métiers qui est le nerf de son argumentation. Que signifie cette analogie ? L’éthique n’est-elle pas d’un autre ordre que les métiers ? Aristote l’a fort bien compris. Et donc nous conclurons à partir de là anachroniquement sur l’absurdité d’un monde capable de se donner une débauche de moyens mais incapable de se proposer un vrai dessein.

Le texte d'Alain mentionné en cours est par ailleurs disponible sur le site de Septembre.

 

 

Séance du 22 janvier 2009

Nous reviendrons sur une difficulté que j’ai considérée la dernière fois, mais trop vite. 

J’ai dit que l’argument du chapitre I de notre ouvrage était une analogie entre les arts et métiers d’une part, et d’autre part la vie éthique. En termes modernes, on dirait que la morale est pensée sur le modèle de la technique. Je vais revenir sur deux points, d’une part la question de la différence qu’il y a entre ces deux ordres, technique et moral, et d’autre part l’idée d’analogie. 

Pour le premier point, je reprendrai l’analyse de la contemplation : pourquoi faut-il oser dire qu’être au sens le plus fort du terme, c’est contempler ? De là une rapide réflexion sur les notions de puissance et d’acte. Pour le second point, nous prendrons des exemples d'analogie indépendamment du contexte aristotélicien. Enfin nous reviendrons à l’argumentation de notre texte.

 

 

Séance du 5 février 2009

Il arrive encore qu’à table un paysan du Tarn sorte de sa poche son couteau, plutôt que d’utiliser celui qui décore la nappe et qu’il appelle « couteau parisien ». Ainsi un vrai couteau est un couteau qui remplit sa fonction ou œuvre propre, qui est de couper : un couteau qui coupe, un couteau conforme à son essence. Où l’on voit que le bon couteau n’est qu’un vrai couteau. Sa vertu ou excellence est de pouvoir couper, c’est-à-dire de pouvoir être un couteau et rien de plus. Ainsi le bonheur est pour l’homme de remplir sa fonction d’homme, c’est-à-dire d’être pleinement homme. On appellera vertu la capacité d’être un homme accompli, comme on appelle vertu du couteau la « puissance » qu’il a de couper. L’homme heureux est celui qui exerce effectivement cette puissance conformément à son essence. 

Nous voulons ainsi donner le ton de la définition aristotélicienne du bonheur qui figure au chapitre 6 du livre I de l’Ethique à Nicomaque et que nous lirons pour le 7° cours de cette année. Nous retrouverons le problème posé par l’analogie par laquelle Aristote s’élève de l’idée d’œuvre ou de fonction, prise sur le terrain de l’art, à l’idée de vertu et d’excellence propre à l’homme. Comment un tel passage peut-il s’opérer sans que l’éthique soit pensé sur le modèle de la technique ?

 

 

Séance du 12 mars 2009

Le cours précédent n’a finalement porté que sur la question de savoir ce que signifie l’analogie par laquelle Aristote s’élève des arts et métiers à l’éthique : le passage de l’idée de fonction ou d’œuvre, qui suppose un métier, une compétence technique déterminée, c’est-à-dire une spécialisation, à la tâche de l’homme en tant qu’homme. Nous allons aujourd’hui parvenir à la notion de vertu ou d’excellence. De l’idée de fonction ou de tâche, nous allons simplement passer à celle de fonction bien remplie : l’homme de bien – spoudaios - accomplit sa tâche d’homme. Reprenons Montaigne : il « fait bien l’homme et dûment ». L’homme est son œuvre. 

La vertu ou excellence – arétè - est la disposition ou l’aptitude « en vertu de » laquelle l’homme est pleinement homme. Tel était l’objet annoncé pour le cours précédent, que nous considérerons aujourd’hui avant de passer à l’idée de vie rationnelle ou raisonnable, et de là à la distinction aristotélicienne entre vertus éthiques et dianoétiques, morales et intellectuelles, du caractère ou de l’intelligence, à partir du chapitre 13 du livre 1 de l’Ethique à Nicomaque.

 

 

Séance du 19 mars 2009

Nous nous demanderons ce que signifie la fin du chapitre 6, « une hirondelle ne fait pas le printemps » et nous passerons à la réflexion sur les parties de l’âme et sur la distinction qui lui est liée entre vertus éthiques et dianoétiques – c’est-à-dire au problème du rapport du caractère et de l’intelligence. 

La suite de l’ouvrage nous apprendra en effet que le caractère sans l’intelligence est une fausse vertu et que l’intelligence sans le caractère est inévitablement dévoyée : la difficulté pour la réflexion philosophique est de ne pas séparer vertus éthiques et dianoétiques quoique l’analyse et les nécessités de l’exposé nous forcent à les examiner à part les unes des autres.

 

 

Séance du 2 avril 2009

Le dixième cours portera sur ce qu’on peut appeler la méthode propre à l’éthique. Nous chercherons à comprendre pourquoi les choses humaines ne peuvent relever d’une science mathématique, et en quel sens le discours que nous tenons sur elles est « grossier » ou « approché ». Tout tient ici à la nécessité de prendre en compte la part irréductible de contingence qui caractérise les choses humaines. La « grossièreté » du savoir qui s’y rapporte ne tient pas au fait qu’il est insuffisant et se-rait susceptible de progrès, mais à leur nature. Peut-être n’y a-t-il rien de plus étranger à la plupart des modernes qu’une telle idée. 

Voici les pages du Livre I de l’Ethique à Nicomaque qui seront reprises : 

Ethique à Nicomaque, fin de I, 1 

Ethique à Nicomaque, fin de I.2 

Ehtique à Nicomaque, I. 7

 

 

 

séance du 30 avril 2009

Nous avons vu la dernière fois que la nature des choses humaines requiert une pratique irréductible à la théoira : l’éthique est affaire de pratique. Après être revenu sur cette conclusion, nous verrons pourquoi l’éthique relève non pas d’un travail d’expert ou de spécialiste, mais de généraliste. 

Puis nous retrouverons le cercle de l’éducation : il faut qu’un homme ait déjà pratiqué la vertu pour réellement comprendre un cours d’éthique et tirer parti de la réflexion sur la vertu. Ce qui nous conduira à réfléchir sur les notions d’habitude et d’hexis ou disposition constante. En quel sens devient-on forgeron en forgeant ? En quel sens la vertu s’acquiert-elle par la pratique de la vertu ? Et quelle est la nature d’une telle habitude pour que la vie heureuse soit bien l’œuvre de l’intelligence ? Car on ne peut séparer la question des vertus éthiques de celle des vertus intellectuelles. Quelle est la place de l’intelligence pratique dans une morale qui donne à l’habitude une place centrale ? 

Mais pour cela il faut revenir sur les notions d’acte et de puissance et se demander en quel sens la vertu est « puissance ».

 

 

 

Séance du 14 mai 2009

Nous poursuivrons notre réflexion sur l'habitude par quelques remarques sur l'éducation et l'école. Et pour comprendre la nature des vertus éthiques (ou morales) nous seront amenés à réfléchir sur leur rapport avec les vertus dianoétique (ou intellectuelles), puisque la définition de la vertu au chapitre 6 du livre II dit : « La vertu est une disposition à agir d'une façon délibérée, consistant en une médiété relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée, et comme la déterminerait l'homme prudent », ce qui signifie qu'il n'y a pas de vertu éthique sans la « prudence ». Nous verrons ainsi en quoi consiste la médiété ou « juste milieu ».

 

 

Séance du 28 mai 2009

Le dernier cours de cette série portera sur le plaisir : la théorie aristotélicienne du plaisir sauve intégralement le plaisir mais elle en irritera plus d’un puisqu’elle montre que chacun a les plaisirs qu’il mérite : Aristote délivre le plaisir de la relativité où l’enferment les sophistes et les adeptes du « si ça me plaît », et par là, tout en comprenant la diversité des plaisirs, peut justifier une hiérarchie des plaisirs au sommet de laquelle est le plaisir divin de philosopher.