Le cours comporte 17 séances dispensées entre octobre 2013 et mai 2015 à l’Université Conventionnelle. On trouvera ici les notices de chaque séance ainsi que les enregistrements de la première heure de cours, lorsqu’ils existent. Ces podcasts sont également réunis sous la forme de liste de lecture sur notre compte soundcloud.
Séance du 16 Octobre 2013 : le beau et l’absolu
La première séance tentera de montrer pourquoi les beaux-arts sont un objet particulièrement « hégélien » ! La philosophie hégélienne est une philosophie de l’esprit, c’est-à-dire de l’esprit divin (et en effet, l’esprit n’est pas humain, encore moins trop humain !), mais de l’esprit en tant qu’il n’a d’existence que s’il se réalise dans le monde. Et donc les beaux-arts sont une des modalités les plus hautes de l’existence de Dieu. Ce qu’il est permis de comprendre indépendamment de toute allégeance confessionnelle : le beau, le beau artistique est la présence sensible de l’absolu.
C’est peut-être pour cela qu’aujourd’hui il y a plus la queue au musée qu’à la messe – mais cela, Hegel ne l’avait pas prévu. Où l’on voit que si le cours sera nourri de Hegel, il ne conclura pas nécessairement avec Hegel, mais une si haute idée des beaux-arts ne peut que donner lieu à une esthétique instructive.…
Séance du 20 novembre 2013 : Peinture et représentation
Après une réflexion sur l’abstrait et le concret (le savoir absolu hégélien est la compréhension la plus concrète qui soit du réel, et nous y résistons parce que nous vivons dans l’abstraction), nous partirons avec Hegel de ceci que la peinture requiert la réduction de l’espace : un tableau a deux et non trois dimensions. Quelle sont les conséquences nécessaire de la suppression de la troisième dimension, de la suppression de la profondeur ?
Elle fait du réel notre représentation : de telle sorte que la peinture est « idéaliste » au sens strict de ce terme (est idéaliste celui qui soutient que le monde est sa représentation, que le monde n’est rien en dehors de la représentation qu’il en a ; on est réaliste au contraire, comme vous ou moi, lorsqu’on croit en la réalité du monde extérieur). Nous comprendrons déjà par là en quel sens on peut dire que le « réalisme » est la mort de la peinture ! Et pour rendre compte de la manière dont la peinture est faite pour un regard qui s’y voit, pour comprendre que par essence elle donne à voir non pas le réel mais la visibilité du réel, nous prendrons l’exemple du clair obscur.
Nous retrouverons ce que nous avons déjà compris, que la forme et le fond sont inséparables – c’est-à-dire que le génie suppose le métier, que le sens est trouvé par le peintre par le travail. L’exécution d’une toile n’est pas la mise en peinture d’un sens qui aurait été conçu à part. Rembrandt pense les brosses à la main. Et comme Hegel, nous le comprendrons à partir de ceci que la peinture consiste à poser des touches de couleurs sur une surface plane.
Allez revoir au Louvre la salle des Rembrandt et par exemple les célèbres pèlerins d’Emmaüs.
Note : Suite à un problème d'enregistrement nous donnons une version rédigée du cours. Merci de votre compréhension.
séance du 4 décembre 2013 : Couleur et clair-obscur
Nous allons enfin pouvoir développer ce qui figure dans l’annonce du 20 novembre : quelle sont les conséquences nécessaire de la suppression de la troisième dimension, de la suppression de la profondeur ?
Nous réfléchirons à partir de là sur le clair obscur et sur la couleur. Ces exemples permettront de voir qu’en effet Hegel, dans l’exposition systématique de sa pensée, rend compte de la chose même – ici de la peinture qui consiste à poser des couleurs sur une surface plane.
Séance du 12 décembre 2013 : Couleur et clair-obscur, suite
La philosophie requiert le loisir : la pensée ne s’y développe que selon sa nécessité propre. Elle ne suit pas un plan qu’elle pourrait déterminer avant d’avoir suivi le chemin. Il est certes bon que l’apprenti sache faire un plan pour ne pas vagabonder ou plutôt divaguer. Mais ne sait faire un plan que celui qui sait déjà quelle route suivre et qui donc l’a déjà suivie. Pascal disait même qu’on ne peut rédiger l’introduction d’un ouvrage qu’une fois qu’on l’a terminé.
Si, comme c’est le cas ici, la route est suivie par des marcheurs qui n’ont pas tous suivi le même entrainement, il ne faut pas s’étonner que les digressions et les détours retardent ce qui est annoncé : nous ne sommes pas encore arrivés au clair obscur. Je vais tenter de terminer ce trimestre avec Rembrandt.
Une autre remarque. Mon propos porte en définitive plus sur la peinture que sur Hegel. Je ne m’intéresse à Hegel que dans la mesure où il me permet de mieux comprendre la peinture et les choses dont il parle. A quoi bon en effet lire les philosophes, sinon pour apprendre quelque chose non pas sur des doctrines mais sur l’objet de ces doctrines ? Or le système hégélien et son mode d’expression conduit certain lecteurs à « faire du Hegel », au lieu de traiter grâce à Hegel, du droit, de l’histoire, ou de la peinture. C’est pourquoi je ne me presse pas d’« hégélianiser » quoique ce que je comprends de la peinture soit en grande partie dû à Hegel.
Nous partirons de l’idée de vision sur laquelle le dernier cours s’est terminé pour arriver enfin au clair obscur !
Séance du 5 février 2014 : le système hégélien
Il arrive à l’Université Conventionnelle d’obéir à la demande plutôt que de faire une politique de l’offre. Ainsi plusieurs d’entre mes auditeurs m’ont demandé de les éclairer sur le système hégélien : il ne leur suffit pas que j’essaie de comprendre les beaux-arts à partir du cours d’esthétique de Hegel.
Je vais donc me lancer pour un moment dans une tentative d’introduction au savoir absolu. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Qu’est-ce que ce savoir de l’absolu qui est aussi un savoir que l’absolu a de lui-même et dont la philosophie est l’expression la plus haute ?
Voici un exemple de ce qu’on trouve en effet dans l’introduction de Hegel à son cours d’esthétique :
« Parce qu’il a affaire au vrai, en tant qu’objet absolu de la conscience, l’art appartient […] à la sphère absolue de l’esprit et se tient pour cette raison, quant à son contenu, sur le même sol que la religion au sens spécifique du mot et que la philosophie. Car la philosophie elle non plus n’a pas d’autre objet que Dieu et elle est ainsi essentiellement théologie rationnelle et, en ce qu’elle est au service de la vérité, service divin permanent » Traduction Jean-Pierre Lefebvre et Veronika Schenck, Aubier I, 139-140 (édition. suhrkamp p.139).
Nous essaierons de comprendre en quel sens Hegel peut affirmer l’identité de la pensée et de l’être. C’est déjà ce que nous avons compris par une réflexion sur la peinture et particulièrement sur le clair-obscur. L’œuvre d’art n’est pas une œuvre étrangère à l’esprit, mais elle est la présence sensible de l’absolu. Ainsi par le clair-obscur la lumière est créatrice des objets : ce qui les rend visibles et connaissables est ce qui les rend réels. Il faut méditer cela longuement pour comprendre l’idée d’une identité du sujet et de l’objet, de la pensée et de l’être, du rationnel et du réel.
Ce sera donc rude
Séance du 5 mars 2014 : le savoir absolu
Nous tenterons d’avancer dans la compréhension de ce que Hegel appelle le savoir absolu : que signifie ceci que la philosophie est le service divin de la vérité ? (Aubier 139-140 Suhrkamp 139) Que signifie l’identité du rationnel et du réel ?
Il faut tenir à la fois l’opposition et l’unité de la nature et de la liberté. Kant a déjà fait une part du travail, mais il s'est arrêté à cette opposition, laissant entre les deux termes un abîme infranchissable. La Critique de la faculté de juger ne les réunit que « subjectivement », elle ne les réconcilie pas ; elle ne montre pas comme le fera au contraire Hegel que cette opposition est nécessaire à la réalisation de l’esprit comme tel, comme esprit conscient de lui-même.
Il est aisé de comprendre que pour une pensée de la réconciliation de la nature et de l’esprit l’art est un moment essentiel, puisqu’il est la figuration de cette réconciliation : il faut le marbre pour que l’esprit paraisse dans la statue et se retrouve. Voilà pourquoi le cours d’esthétique de Hegel nous instruit sur les beaux-arts, et c’est ce que chacun pourra comprendre, même s’il ne maîtrise pas le système hégélien.
Qu’en est-il de ce système ? En résumé (mais en philosophie, un résumé est inintelligible et toujours faux), alors qu’avec Kant l’unité de la nature et de la liberté n’était sauvée que dans une philosophie du jugement, Hegel la pense dans une philosophie de la réalité.
Séance du 19 mars 2014 : la réconciliation des contraires
« Si Dieu n’est pas connaissable, il ne reste rien qui puisse intéresser l’esprit sinon ce qui n’est pas divin, ce qui est limité et fini. Certes, l'homme doit nécessairement s’occuper du fini ; mais il y a une nécessité plus haute, à savoir que l’homme ait un dimanche de la vie où il s’élève au-dessus des travaux de la semaine, où il se consacre au vrai et le porte à sa conscience. »
Hegel, La raison dans l'histoire
Après une première esquisse de l’idée de savoir absolu, nous allons tenter de comprendre l’idée proprement hégélienne de réconciliation des contraires. Nous l’avons en un sens déjà comprise, lorsque que nous avons vu que les beaux arts étaient la figuration sensible de l’absolu : l’Esprit prend conscience de lui-même non pas par un retour sur lui-même (intérieurement) mais en s’opposant à la nature (à l’extériorité) et cela en y réalisant une œuvre où il peut se retrouver.
Mais l’idée qu’il lui faille ainsi s’opposer à son autre pour être lui-même peut donner lieu à de graves confusions, et d’abord à une interprétation qu’on pourrait dire « terroriste » de la philosophie de l’histoire, selon laquelle « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » : il nous faudra donc distinguer la théodicée hégélienne, qui en effet comprend le malheur des peuples comme un moment nécessaire de la vie de Dieu, d’une politique qui prétendrait devoir justifier ses crimes comme des sacrifices en vue de lendemains qui chantent. Le hégélianisme de Hegel n’est pas un messianisme historique.
La raison dans l’histoire (par exemple dans la traduction de Papaioannou chez 10-18) est une bonne introduction à Hegel si on fait bien attention à situer la philosophie de l’histoire dans le système et à ne pas réduire le système à la philosophie de l’histoire.
Nous commencerons à formuler ce qui est trop connu dans le hégélianisme, l’idée d’une dialectique qui réunit les contraires : l’idée que l’opposition de soi à soi est nécessaire à la vie de l’Esprit, que la contradiction n’est pas seulement une méthode par laquelle la pensée s’opposant à elle-même s’élève vers la vérité (le dialogue de la pensée avec elle-même), mais le processus même par lequel l’Esprit - c’est-à-dire dieu - se réalise dans le monde. L’idée d’une dialectique de la réalité et non pas seulement de la pensée du philosophe.
Séance du 2 avril 2014 : la réconciliation des contraires, suite
Nous reprendrons le commentaire de cette page et l’idée que s’exprimer requiert que l’intérieur affronte l’extérieur : il faut l’extériorité de la nature, qui est la négation de l’Esprit, pour que l’Esprit se conquière et ainsi devienne lui-même en niant cette négation. Soit l’exemple de la sculpture : il faut le marbre (donc toute la géologie, tout ce qui dans la nature est le plus éloigné de l’Esprit) pour que l’Esprit paraisse dans la statue : et cette manifestation est ce par quoi il est vraiment lui-même, c’est-à-dire conscience de soi.
L'unité de l'intérieur et de l'extérieur
Pour prendre la mesure de cette pensée de la médiation, comme dépassement de la contradiction, et avant de revenir à l’esthétique proprement dite, nous réfléchirons sur l’opposition de la nature et de la liberté, de l’intérieur et de l’extérieur. La première opposition a été travaillée l’an dernier à partir de Kant. La seconde trouve sa formulation la plus forte chez Descartes. Hegel soutient que penser à fond la contradiction – au lieu de laisser les termes opposés chacun de son côté -, c’est s’élever à la pensée de la réconciliation des termes opposés - non pas seulement par une œuvre d’art, comme la statue qui en effet réconcilie le plus matériel et le plus spirituel, mais par la philosophie. Pour comprendre l’idée même d’une telle réconciliation, il nous faudra d’abord formuler la contradiction des termes opposés que sont l’intérieur et l’extérieur, la nature et la liberté.
Ainsi l’intérieur ou l’intériorité n’est pas comme l’intérieur d’une boîte, car l’intérieur d’une boîte est encore une partie de l’espace qui est extérieure relativement à une plus petite boîte qui serait dans la première, et ainsi de suite à l’infini. L’intérieur est donc bien ce qui n’est pas extérieur, ce qui n’est en rien spatial. Donner une existence extérieure à l’intérieur est donc contradictoire – et c’est en ce sens que chez Descartes l’union de l’âme et du corps demeure un problème insoluble. Comprendre l’unité de l’intérieur et de l’extérieur, c’est dépasser la contradiction qui les oppose, et peut-être suffit-il pour cela de voir qu’en vérité chacun se définit par son opposition à l’autre.
Séance du 7 mai 2014 : L’unité de l’intérieur et de l’extérieur
Nous avons la dernière fois compris que l’esprit ne peut devenir lui-même que dans son opposition à la nature : la pensée de Michel Ange ne serait rien sans le marbre, qui est le contraire de la pensée. Ainsi la sculpture réconcilie le matériel et le spirituel.
Le marbre est la négation de la pensée, la sculpture la négation de la négation par laquelle seule la pensée devient effective. Ainsi la vie n'est pas une simple position de soi, mais une position de soi qui procède d’abord d’une opposition de soi à soi : la vraie vie n’est pas une simple affirmation, elle est négation de la négation. Le tragique n’est donc pas seulement l’expression de la misère humaine : la mort est nécessaire à la vie de Dieu.
Méditant à nouveau la contradiction de l’intérieur et de l’extérieur, de la nature et de la liberté, nous comprendrons pourquoi Hegel considère que la pensée - la vraie vie - est non pas la simple absence de contradiction (l’identité morte), mais le dépassement de la contradiction (l’identité qui comprend la différence). Ainsi la nature est le contraire de la liberté, l’extériorité est le contraire de l’intériorité, mais l’esprit ne peut devenir lui-même que dans la nature, en s’extériorisant, la liberté ne peut se réaliser qu’en s’opposant une nature. Il y a donc un rapport de la pensée et du monde, du spirituel et du matériel qui signifie qu’ils sont inséparables dans leur opposition même et qu’il faut maintenir à la fois leur opposition et leur union.
Ainsi, au lieu comme Descartes, de tenir l’union de l’âme et du corps, par exemple, comme un problème insoluble pour la raison humaine (insoluble en termes d’idées claires et distinctes), au lieu de tenir la pensée et l’étendue comme deux entités extérieures l’une à l’autre, de telle façon que leur union devient incompréhensible, il faut s’élever à la pensée de leur unité dans leur opposition même.
Nous développerons donc ce qui est annoncé dans l’annonce précédente (du 2 avril), à partir de l’opposition de l’intériorité et de l’extériorité, ce qui nous amènera à reprendre le parcours cartésien : que signifie, chez Descartes, la distinction de l’âme et du corps, de la pensée et de l’entendue? Que signifie la fondation qui en résulte de la physique moderne ?
Ce développement permettra aussi de voir que Hegel ne cesse de reprendre à son compte toute la tradition philosophique, non pas pour s’en débarrasser, mais pour en faire valoir la vérité. Contrairement à trop de penseurs célèbres du XX° siècle et d’aujourd’hui, Hegel ne se croyait pas meilleurs philosophe ou penseur que ses prédécesseurs. Il assume la tradition philosophique, il la comprend comme vraie. Bref, il est philosophe. En ce sens on ne peut pas être professeur de philosophie sans être hégélien, à moins d’entendre par enseignement de la philosophie la destruction de la philosophie.
Séance du 28 mai 2014 : dépasser le dualisme?
Après avoir distingué radicalement la pensée et l’étendue, l’intériorité et l’extériorité, la liberté et la nature, comment penser leur union, leur unité ? Comment « dépasser » cette contradiction ? La vie est la résolution de cette contradiction.
Il faut que chacun ait bien présent à l’esprit cette contradiction pour passer à la suite ! Et si quelqu’un devait s’arrêter à la distinction de la pensée et de l’étendue sans parvenir à la « dépasser », il resterait cartésien, ce qui n’est déjà pas mal. Mais il ne comprendrait pas la vie.
Sans suivre les longues médiations qui sont nécessaires à la compréhension de cette unité (nous avons proposé un premier commentaire dans cette voie), en restant donc en ce sens dans l’abstraction, nous nous contenterons de considérer cette unité comme un fait à partir d’exemples. Nous avons déjà compris que les beaux arts sont une manière de rendre extérieure l’intériorité spirituelle, laquelle se révèle ainsi à elle-même dans « son autre » (traduction du neutre allemand) et se réconcilie avec lui. C’est précisément parce que les beaux arts sont la réconciliation de l’intérieur et de l’extérieur, de la raison et du sensible, de l’esprit et de la matière, qu’ils appartiennent à la sphère du savoir absolu.
Pour comprendre cette réconciliation des contraires, il suffirait aussi de considérer les langues humaines, qui sont l’existence empirique de la pensée : un signe n’est pas une chose mais la présence sensible d’un sens. Je n’aurai pas le temps de lire les belles choses sur le langage de L’encyclopédie des sciences philosophiques, par exemple § 458 sq. et la longue addition de 459. Il y a là toute une philosophie du langage de premier ordre et depuis lors inégalée. Penser ces exemples, c’est déjà aller au-delà de ce que permet d’atteindre le travail de distinction opéré par l’entendement, par l’analyse.
Nous partirons donc de la distinction radicale de la pensée et de l’étendue qui nous a amenés à concevoir une âme qui est pure pensée sans corps, et un espace qui est pure extension ou une matière inerte, sans principe d’animation : il fallait ôter son âme à la nature pour fonder une physique mécaniste. Or il y a dans la nature des êtres vivants, qui ne sont pas réductibles au mécanisme : il nous faudra pour les penser retrouver la vérité de l’aristotélisme, c’est-à-dire ceci que la nature a en elle-même le principe de son mouvement. Un tel principe ne peut être matériel : telle est bien la leçon de notre dernier cours. Il faudra donc admettre que ce principe signifie la présence de l’esprit dans les choses. L’esprit est constitutif des choses. De là une philosophie de la nature, qui pense l’éveil de l’esprit dans son autre, partie médiane essentielle du système hégélien, sans doute la plus difficile pour qui s’en tiendrait à la représentation de la nature comme pure inertie.
Séance du 21 janvier 2015 : Retour à l’esthétique
Partis de l’esthétique, nous avons l’an dernier tenté à la demande des auditeurs de comprendre l’idée hégélienne de la philosophie. J’ai donc dû abandonner les beaux-arts. A la demande de ces auditeurs fidèles, je vais cette année revenir à l’esthétique, et d’abord à l’art symbolique. Nous verrons bien jusqu’où nous pouvons avancer dans le cours d’esthétique de Hegel.
Je rappelle ici que ce cours de l'Université conventionnelle est en même temps un cours d’initiation à la philosophie. Il ne s’agit pas de résumer un philosophe mais de donner accès à son œuvre et par là à la philosophie. Autrement dit je ne m’intéresse aux pensées de Hegel que dans la mesure où elles sont aussi les nôtres : grâce à Hegel nous apprenons à penser en même temps qu’il nous permet de comprendre les beaux-arts. Et je dis les beaux-arts parce qu’il ne s’agit pas de tout ce qu’aujourd’hui on appelle art.
Nous avons compris l’année dernière que les beaux-arts sont l’expression des plus hautes exigences de l’esprit. Que pour cette raison ils appartiennent dans le système hégélien au savoir absolu. Le premier cours de cette année rappellera cette haute idée des beaux-arts, et par là-même leur parenté avec la philosophie.
Mais parenté ne veut pas dire identité. La philosophie dit la vérité à laquelle l’art donne ou plutôt a donné une forme sensible. En ce sens l’art n’est pas un langage. Pour le comprendre, nous analyserons la notion de symbole et nous nous nourrirons des pages de l’Encyclopédie des sciences philosophiques sur le langage (§§ 458 sq. et surtout les additions), pour distinguer signe linguistique et symbole. Hegel appelle symbolique une forme d’art particulière (celui par exemple de l’Egypte antique) : en quel sens faut-il dire aussi que tout art est symbolique ?
Séance du 4 février 2015 : l’art et le symbolique
Nous reprendrons notre réflexion sur le langage et l’arbitraire du signe, et aussi sur l’écriture alphabétique. Et de là nous passerons à la notion de symbole pour comprendre en quoi tout art est symbolique – en ce sens l’art n’est pas un langage. Nous pourrons alors passer à l’étude de l’art que Hegel appelle symbolique (distingué de l’art classique et romantique).
L’intelligence, en se donnant une langue, s’approprie le sensible : les mots ne sont plus des choses extérieures, mais bien la pensée présente là devant nous ; les comprendre, c’est être d’emblée au sens dont ils sont le signe. Au contraire la belle œuvre d’art ne disparaît pas dans le contenu spirituel dont elle est la présentation sensible : c’est pourquoi il faut toujours y revenir, c’est-à-dire la contempler. Ainsi le beau maintient entre le sensible et l’intelligible une différence, que seule la philosophie, qui est discours, est à même de dépasser.
« … l'idée se développe selon une dialectique cachée, dont la religion nous découvre quelque chose, mais que la philosophie seule mettra au clair. L'art est muet ; il fixe en ses images les moments de cette dialectique ; il les change en objets immuables. Toutes nos pensées nous attendent et nous attendront dans cette longue allée des Sphinx ; et c'est ce qu'exprime le mot Idée. »
Alain, Idées, Hegel début du chapitre sur l’esthétique.
Séance du 4 mars 2015 : art symbolique et art classique
Après avoir compris en quel sens tout art est symbolique, nous allons nous demander en quel sens Hegel distingue un art symbolique de l’art classique et de l’art romantique. Alors symbolique n’est plus pris dans le sens général que nous lui avons donné jusqu’à présent.
Attention ! Les termes de symbolique, classique et romantique ne sont pas chez Hegel des concepts empiriques ou historiques (comme dans l’histoire de l’art ou l’histoire des idées) mais ce sont des concepts rationnels : ce sont les moments du développement du concept d’art – d’art au sens de beaux-arts.
Il faut donc comprendre ces trois formes à partir du concept d’idéal qui rend compte de la nature des beaux-arts. Nous reprendrons donc ce qui a été dit l’an dernier sur la notion d’idéal, à partir de la notion d’idée comme conformité d’une chose à son concept : il nous faudra revenir un peu à Platon !
Notre tâche sera ensuite de comprendre comment ces trois concepts - art symbolique, classique et romantique - sont le développement du concept d’art.
Note : Le dernier quart d'heure de la séance n'ayant pu être enregistré, vous trouverez ci-joint un résumé de cette conclusion.
Séance du 18 mars 2015 : L’idée et l’idéal
Nous reviendrons d’abord sur le sens de l’art symbolique et ce qui le distingue de l’art classique et romantique. Puis nous reprendrons ce qui a été fait l’an dernier sur les notions d’Idée et d’Idéal, pour comprendre comment la tripartition symbolique, classique, romantique est le développement de l’Idéal, c’est-à-dire du concept des beaux-arts.
Ce qui supposera cette fois une petite incursion dans la métaphysique leibnizienne sous-entendue par ce commentaire de Hegel par Alain :
« Socrate courageux, ce n'est point un jugement qui rassemble deux termes étrangers ; c'est le sujet lui-même, Socrate, qui forme son jugement selon la notion. Mais, même dans Socrate, la notion n'est pas identique à l'objet, c'est-à-dire à Socrate de chair ; d'où le combat, la souffrance et la mort. L'idée, c'est la notion identique à l'objet ; et dire que cette identité est dans l'œuvre belle c'est dire que la statue est plus homme que l'homme.»
Que signifie le rapport du sujet au prédicat dans un jugement ? (La table est verte, table est le sujet et vert le prédicat) ? Non pas seulement que nous les relions l’un à l’autre, mais qu’ils sont liés dans la chose même, dans le sujet. Autrement dit la liaison n’est pas un artifice de langage mais elle est constitutive de la réalité même. Ainsi la vérité du jugement a un fondement ontologique : nous retrouverons ce que nous avons dit l’an dernier sur le rapport de la vérité et de la réalité. Manière encore de réfléchir sur l’identité du réel et du rationnel…
Nous reviendrons à partir de là à la notion d’idéal et à la tripartition des formes d’art.
Séance du 1er avril 2015 : le symbole
Nous lirons les pages de Hegel qui traitent de l’art égyptien. J’en propose ici les principaux extraits dans une traduction qui tâche d’être lisible. Les nostalgiques de la belle langue pourront lire à la fin en récompense un poème de Baudelaire.
Baudelaire : Les Chats
Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.
Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.
Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;
Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.
Séance du 6 mai 2015 : les pyramides et l’art égyptien
Nous avons à peine commencé à lire les pages de Hegel qui traitent de l’art égyptien : ce sera donc le programme du 22 avril. Que signifient les pyramides, les statues colossales, les sphinx ? Quel moment de la découverte de soi par l’esprit devons-nous à l’Egypte ?
Il nous faudra faire une digression sur l’habitude, l’habitat, la prise de possession du corps et du monde par l’âme, pour comprendre le sens de l’architecture – en partant de notre réflexion sur de l’étrange habitacle qu’est une pyramide.
Séance du 20 mai 2015 : conclusion de l’atelier
Ce dernier cours portera d’abord sur les statues gigantesques que Hegel appelle Memnons, et je conclurai ces séances par une réflexion sur le sphinx, symbole de l’art symbolique et sur le passage à la sculpture grecque.
Comme je l’ai annoncé pendant la conservation qui a suivi le dernier cours, je traiterai de l’habitude - avec Hegel. La pyramide est un « habitacle » pour la momie, mais la momie n’habite pas cette masse de pierre comme l’âme « habite » le corps et l’anime. L’habitude est la manière dont l’âme prend possession de son corps. De même l’homme habite le monde. La relation entre l’âme et le corps, entre l’homme et le monde, que disent les termes d’habitude et d’habiter est essentielle et Hegel nous permet de la comprendre. Ce qui jette une vive lumière sur l’enjeu d’une politique de l’habitat. Il n’est pas sûr que les politiques publiques tiennent compte aujourd’hui de ce rapport fondamental de la pensée et du monde.
Je vais donc conclure ce cours « hégélien » en reprenant ce que nous avons compris par l’exemple des beaux-arts : l’esprit ne peut se découvrir que par son opposé. En voici une formulation (à première lecture difficile), tirée des réflexions de l’Encyclopédie des sciences philosophiques au chapitre sur l’habitude :
Encyclopédie Add. § 410, p.512 : « Mais la philosophie doit connaître comment l'esprit n'est pour lui-même qu'autant qu'il s'oppose ce qui est matériel - pour une part en tant que sa corporéité propre, pour une autre part en tant qu'un monde extérieur en général -, et [il n’est pour lui-même qu’autant] qu'il reconduit cet être différencié à l'unité avec soi médiatisée par l'opposition et la suppression de celle-ci.
C’est dire que sans corps il n’y aurait pas d’âme ; sans le monde, pas d’esprit. Ce qui chez Hegel se présente ainsi comme la vérité du christianisme sera repris après lui en dehors de ce contexte théologique.