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Les séances

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Conduit durant l'année scolaire 2012-2013 dans le cadre de l'Université Conventionnelle, cet atelier de philosophie se proposait d'accompagner le public dans la lecture d'un monument de la pensée, aussi célèbre que souvent réduit à quelques formules, le Discours de la méthode de Descartes (1637).

Le résultat, ce sont ces neuf séances que vous pouvez écouter ou réécouter ici, et sous la forme de liste de lecture sur notre compte Soundcloud. Les extraits commentés sont disponibles sur cette page ou dans la bibliothèque de Septembre.

 

Séance du 14 novembre 2012 / "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée"

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». Telle est la première phrase du Discours de la méthode. Descartes, on le voit, ne commence pas par le plus évident, et le lecteur impatient pourrait être tenté de refermer le livre à la lecture d’une affirmation d’apparence si contraire au spectacle du monde : la bêtise et la folie y ont davantage leur part que le bon sens et la raison. Partout règne la discorde, y compris – surtout ? – chez les savants ou chez ceux que l’on n’appelait pas encore les « intellectuels ». 

Mais Descartes distingue la raison, qui est universelle, et l’usage de la raison, qui suppose la volonté de bien en user. Ainsi, plus tard dans l’ordre de la lecture, la méthode cartésienne se donnera pour première règle de n’accepter pour vrai que ce que nous savons reconnaître comme tel : la (fausse) évidence de ce précepte révèle qu'il s'agit là davantage d'une règle de la volonté que d’une règle de l’entendement. La logique ou la validité de nos raisonnements sont une condition nécessaire à la pensée mais ne suffisent pas: pour penser correctement, il faut encore pouvoir faire abstraction de nos passions et de nos intérêts, de nos peurs et de nos désirs. C’est pourquoi l’exigence de la pensée est aussi une exigence morale. Tout comme cette première page du Discours est d'abord un appel à user de notre bon sens, universellement partagé mais si souvent dévoyé. 

Après une brève présentation du projet de Descartes, cette première séance s’attachera à la lecture et à l’explication de la première page du Discours de la méthode, disponible ici.

 

 

Séance du 28 novembre 2012 / La crise de la culture

« J’ai été nourri aux lettres dès mon enfance, et pour ce qu’on me persuadait que, par leur moyen, on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j’avais un extrême désir de les apprendre. Mais sitôt que j’eus achevé tout ce cours d’études, au bout duquel on a coutume d’être reçu au rang des doctes, je changeais entièrement d’opinion. » Descartes, Discours de la méthode, Partie I. 

La première partie du Discours de la méthode porte en son coeur une critique de la culture que le lecteur, à force d'en entendre, pourrait somme toute trouver assez commune. Descartes y accuse l'enseignement du Collège de La Flèche de ne l'avoir conduit qu'au doute et à l'erreur. D'aucuns pourraient même voir, dans cette revendication d'un enseignement utile à la vie, une forme de "modernité": l'appel d'un homme - qui fut aussi un scientifique - à laisser de côté les vaines élucubrations des lettres, ou de ce que l'on appelait autrefois les Humanités. 

Mais, alors, comment comprendre que le seul reproche que Descartes fasse à l'enseignement des mathématiques soit de n'être bon qu'à former des ingénieurs? En vérité, il nous faut, pour pouvoir entendre ce texte, nous défaire de ce que notre époque a fait de la notion d'utilité comme de celle de culture. Car Descartes ne s'en prend aux Humanités que dans la mesure où celles-ci trahiraient la promesse de leur nom et ne feraient pas encore suffisamment de nous des hommes. 

Parce qu'il reviendra à s'interroger sur la notion d'instruction, le passage commenté lors de cette séance peut être mis en parallèle avec L'Emile, le grand livre de Rousseau sur l'éducation. On en retiendra notamment l'idée, exprimée dans cet extrait, qu'un apprentissage sans méthode ne forme pas seulement des ignorants, mais des dupes et des esclaves :

« Que l’enfant ne fasse rien sur parole : rien n’est bien pour lui que ce qu’il sent être tel. En le jetant toujours en avant de ses lumières, vous croyez user de prévoyance, et vous en manquez. Pour l’armer de quelques vains instruments dont il ne fera peut-être jamais d’usage, vous lui ôtez l’instrument le plus universel de l’homme, qui est le bon sens ; vous l’accoutumez à se laisser toujours conduire, à n’être jamais qu’une machine entre le mains d’autrui. Vous voulez qu’il soit docile étant petit : c’est vouloir qu’il soit crédule et dupe étant grand. Vous lui dites sans cesse : « Tout ce que je vous demande est pour votre avantage ; mais vous n’êtes pas en état de le connaître. Que m’importe à moi que vous fassiez ou non ce que j’exige ? C’est pour vous seul que vous travaillez. » Avec tout ces beaux discours que vous lui tenez maintenant pour le rendre sage, vous préparez le succès de ceux que lui tiendra quelque jour un visionnaire, un souffleur, un charlatan, un fourbe, ou un fou de toute espèce, pour le prendre à son piège ou pour lui faire adopter sa folie. » Rousseau, Emile, Livre III

 

Séance du 12 décembre 2012 / Le grand livre du monde

Cette séance sera consacrée à l'étude de la fin de la première Partie du Discours de la Méthode: Descartes y quitte les livres pour voyager. 

Il est tentant d'interpréter ce passage comme une nouvelle apologie de l’expérience contre le raisonnement, ou de l'homme d'action contre l'intellectuel. Là encore, l'argument est bien connu : comme le disent les refrains de chansons populaires, il y a des choses qui ne s’apprennent pas dans les livres... 

Pourtant ce serait oublier que le grand livre du monde est toujours un livre : Descartes ne se jette pas dans le monde pour y faire des affaires et arrêter de penser, mais au contraire pour continuer son étude et mieux penser. Et si l'observation du monde lui paraît préférable au monde des savants, c'est que ces derniers ne risquent pas grand chose à se tromper et que, conduits par la vanité de se distinguer, ils préfèreront toujours défendre une absurdité inédite que partager une vérité trop connue. Ce qui engendre l’erreur dans le monde intellectuel n’est donc pas de se placer dans l’intellect, mais bien dans le passionnel : les monstruosités de la pensée spéculative ne résultent pas d'un excès de raison et d'intelligence, comme on l'entend parfois (et souvent chez les "intellectuels" même), mais de la perversion de la raison et de l’intelligence par nos désirs. 

Au cours de cette séance, deux pages de littérature furent évoquées. Il s'agit d'un tableau de La Vie de Galilée, de Brecht, et d'un passage de Bouvard et Pécuchet de Flaubert. Les deux textes sont téléchargeables ci-dessous.

 

 

Séance du 23 janvier 2013 / L'idée de fondation

La Partie II du Discours de la méthode relate le tournant du 10 novembre 1619 : Descartes, enfermé dans son poêle en Allemagne, enchaîne les pensées qui vont le conduire à l'idée d'une science universelle et aux règles de la méthode. Mais, pour en arriver là, il nous faut d'abord saisir en quoi la science véritable est nécessairement une. 

L'hétérogénéité des savoirs -responsable de la déception décrite dans la Partie I du Discours de la méthode - n'est pas gage de spécialisation ou "d'excellence", comme on le dirait aujourd'hui, mais résulte plutôt de notre impuissance à comprendre de ce qui devrait faire leur unité. La diversité des sciences exprime notre ignorance: nous les distinguons parce que nous renonçons à comprendre ce qui les lie et donc les constitue en savoir. Savoir, c'est savoir pourquoi. L'exigence d'unité appelle à son tour la nécessité d'une refondation. 

Mais le projet de fonder son savoir n'est pas une entreprise comme une autre. Car fonder ne signifie pas seulement consolider, mais reconstruire à neuf: c'est une construction qui suppose d'abord une destruction. Il importe donc de comprendre également en quoi ce projet ne peut être qu'individuel. 

Ce commentaire de la première moitié de la Partie II du Discours de la méthode s'appuiera sur un extrait des Règles pour la direction de l'esprit.

 

 

Séance du 6 février 2013 / les règles de la méthode

Le titre de cette cinquième séance est volontairement réducteur. Dans la seconde moitié de la Deuxième Partie du Discours de la méthode, Descartes énumère quatre règles ou "préceptes" à observer pour conduire ses pensées. Cet énoncé de la fameuse méthode n'est cependant pas sans poser plusieurs problèmes, car, pour commencer, s'il n'y avait qu'à connaître ces règles pour bien penser, les Descartes devraient être plus nombreux ou, comme on le dit plus vulgairement, "cela se saurait"... Formellement, comment même expliquer la structure et la longueur du Discours si quatre préceptes suffisent? 

Par ailleurs, il est courant d'entendre que la méthode cartésienne suit ici un "modèle mathématique". Il est vrai que, comme nous l'avions vu dans la Première Partie, les mathématiques échappaient à la critique cartésienne « à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons ». Pour autant, une lecture attentive du texte nous montre au contraire un Descartes qui, après avoir congédié la logique, se plaint des défauts de la géométrie et de l'algèbre. Les mathématiques lui semblent si imparfaites qu'il les réformera pour donner lieu à ce que l'on nommera plus tard la géométrie analytique. Descartes voulait des mathématiques dignes de son projet philosophique: s'il nous faut commencer par elles, c'est parce que nous devons réapprendre à penser et aller à rebours de l’enfance, de cette nature que le temps nous a donnée et qui consiste à affirmer sans savoir et sans comprendre. Les mathématiques n’ont donc aucune supériorité en tant que discipline. Au contraire, Descartes ne cesse de rappeler qu’elles ne servent à rien parce qu’elles ne parlent pas de la vie. Mais, pour cela aussi qui désamorce bien des passions, elles nous entraînent à penser droitement et tendent à restaurer la raison. 

Cette séance, qui nous conduira à examiner ce qu'il faut entendre par l'ordre des raisons, s'achèvera sur un premier commentaire de la célèbre comparaison cartésienne entre la philosophie et un arbre. En voici le texte :  

« Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. Or comme ce n’est pas des racines, ni du tronc des arbres, qu’on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties qu’on ne peut apprendre que les dernières. » 

Descartes, Lettre-Préface des Principes de la philosophie

 

 


Séance du 20 février 2013 / La morale par provision

Adopter le doute cartésien est analogue à décider de détruire son logis pour s'en bâtir un meilleur. La partie II du Discours de la méthode soulignait les risques de cette entreprise et s'assurait de la méthode pour reconstruire à neuf. Mais l'ennui est que, pendant qu'on pense, il faut bien vivre, et qu'avant de savoir la manière dont il faudrait vivre, il faut finir de penser...

Pour répondre à ce cercle, Descartes conçoit donc une "morale par provision", c'est-à-dire une morale provisoire, conçue comme un abris "où on puisse être logé commodément pendant le temps qu'on y travaillera".

 

 

Séance du 20 mars 2013 / Du doute au cogito

Cette séance portera sur la plus célèbre thèse de Descartes: le fameux "je pense donc je suis", énoncé dans la quatrième partie du Discours de la méthode et résumé sous l'expression de "cogito cartésien" en raison de sa version latine ( "cogito ergo sum"). 


NB: En raison d'une étourderie de ma part, cette séance n'a pu être enregistrée. En lieu et place du fichier audio, je mets en ligne une version abrégrée de mes notes de cours, tout en ayant conscience de l'imperfection de cette solution...

 

 

Séance du 22 avril 2013 / Du doute à l'existence de Dieu

Cette séance poursuit la réflexion métaphysique initiée dans l'atelier précédent et se propose d'explorer la métaphysique cartésienne à partir du résumé qu'en fournit la quatrième partie du Discours.

 

 

Séance du 29 avril 2013 / Descartes et la science

De manière un peu éhontée, cette dernière séance portera sur les parties V et VI du Discours de la méthode. Cependant cette accélération soudaine de notre rythme de lecture ne s'explique pas seulement par les impératifs du calendrier et le mauvais calcul du professeur: la fin du Discours, qui traite de la science, est moins dense que les parties précédentes. Cela, bien sûr, ne signifie pas pour autant que le propos y est moins important: il s'agira de comprendre quelle révolution scientifique entraîne la pensée cartésienne.

Les séances

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Le cours "Art et politique" comporte huit séances et s'est étalé durant toute l'année 2010. On trouvera ici les notices de chaque séances, les liens vers les textes expliqués ainsi que les enregistrements audio du cours. Ces derniers sont également compilés sous la forme d'une liste de lecture sur le compte soundcloud de Septembre.

 

Séance du 4 février 2010 / que disent les spectacles de nous-mêmes?

Cette première séance a pour objet principal de légitimer notre question. La question du sens moral et politique de l’art a en effet quelque chose de dérangeant en ce qu’elle semble nous ramener aux notions de censure et de propagande : celui qui questionne la légitimité morale d’une œuvre ne pourrait être qu’un puritain et celui qui la revendique qu'un totalitaire. Ce sont ces fausses évidences qu’il nous faut défaire pour commencer. 

Pour ce faire, nous n'examinerons pas ce qu'il convient d'appeler les auteurs « engagés », mais nous partirons plutôt de l'idée que toutes les œuvres, les bonnes comme les mauvaises, tiennent un discours et par là peuvent nous éduquer. 

Cette conception fut, entre autres, celle des Lumières. Pour Voltaire, Diderot et d'Alembert, le théâtre participe au progrès et a vocation d'instruire le peuple en l'amusant: le public, qui croit n'être venu au spectacle que pour le plaisir de rire ou de pleurer, est éduqué à son insu par cette morale en action et ressort du théâtre meilleur qu'il n'était. L’art donnerait des leçons, mais en éducateur rusé qui saurait rendre la leçon plaisante pour ne pas rebuter son élève. 

A cet optimisme, Rousseau oppose une objection de taille: n'existent à proprement parler que les spectacles qui sont vus. Le succès devient donc la condition de la leçon: il faut savoir plaire pour être entendu. Or rien ne nous plaît autant que ce qui va dans notre sens. Dans sa Lettre à d'Alembert sur les spectacles, dont nous reproduisons un extrait, Rousseau dénonce le cercle vicieux dans lequel serait pris le théâtre instructif défendu par les Encyclopédistes : pour nous changer, un spectacle devrait s’opposer aux discours que nous avons envie d’entendre et serait par là même voué à l'échec. Autrement dit encore: si le théâtre veut nous éduquer, il faut que nous l’écoutions ; or pour cela il doit nous plaire, donc il doit renoncer à nous éduquer. Pour Rousseau, le succès d'un spectacle est d'abord le signe de sa médiocrité: il plaît au public parce que celui-ci y voit ce qu’il est déjà. 

Se dessine ainsi la possibilité d'une critique des spectacles exempte de tout puritanisme. La Lettre à d'Alembert se sépare en effet de la querelle traditionnelle du théâtre, fondée sur la condamnation chrétienne des plaisirs, pour dénoncer la manière dont les spectacles renforcent les préjugés et les passions d'un peuple en étant soumis à la nécessité de plaire. Si pour Rousseau le théâtre ne peut nous éduquer, c'est d'abord parce qu'il est le lieu de la complaisance sociale. Le « théâtre moral » ou le « théâtre instructif » seraient donc des expressions aussi vides de sens que celle de « droit du plus fort », dénoncée dans le Contrat social: le langage masque ici encore une absence de réalité et le théâtre moral, comme le droit du plus fort, ne serait que l'étiquette commode sous laquelle les hommes peuvent reconduire l’injustice de la société.

 

 

Séance du 18 février 2010 / Aristote à Holywood

Une manière de sortir du cercle tracé par la Lettre à d'Alembert lors de la séance précédente consisterait à fonder l'attrait et la valeur de l'art sur un plaisir autre que celui de la complaisance. 

C'est ce que nous envisagerons en nous appuyant sur La Poétique d'Aristote, dont l'influence se lit aussi bien dans notre rapport contemporain à l'art que dans ses modèles dominants dont le classicisme hollywoodien est un parfait exemple. 

Selon le début du chapitre IV de La Poétique, si le plaisir est la fois l'origine et la finalité de l'art, c'est parce qu'il est lié à la connaissance: l’imitation (mimesis) nous apprend quelque chose et c’est pourquoi elle nous fait plaisir. Ce plaisir concerne aussi bien celui qui fait (l'artiste) que celui qui regarde ou écoute (le public) parce que tous deux participent au même processus qui consiste à avoir prise par l’art sur un réel qui lui préexiste. La Poétique fait donc bien davantage que de défendre une compatibilité entre apprentissage et plaisir: elle établit un rapport de causalité. 

 

 

Séance du 18 mars 2010 / Le goût des larmes (Catharsis 1)
 

Nous avons vu la fois précédente que, selon La Poétique d'Aristote, la tragédie réussit ce qu’aucune science ne semblait pouvoir faire, à savoir nous donner une connaissance du contingent: la bonne tragédie est celle qui représente les événements humains comme l’effet d’un enchaînement vraisemblable ou nécessaire, permettant ainsi à l'esprit d'avoir prise sur ce qui, sans cela, nous demeurerait inintelligible. 

Mais cette légitimation du plaisir tragique abordée précédemment repose en dernière instance sur la notion complexe de catharsis, c'est-à-dire sur la "purgations des passions" qui fonderait l'effet moral des spectacles. L'émotion (crainte et pitié pour la tragédie, rire pour la comédie) serait le médium dont l'art se servirait pour réaliser sa finalité qui est de nous rendre meilleurs. 

De quoi la catharsis nous purifie-t-elle? 

La difficulté de comprendre cette notion résulte de ce que le terme même de catharsis (ou katharsis) n'apparaît qu'une seule fois dans La Poétique, lors de la définition de la tragédie (chapitre 6, 1449b21-28), et que, entre nous et le texte d'Aristote, se sont interposées ses multiples interprétations. La plus célèbre d'entre elles est sans doute celle du théâtre classique français, qui fait de la tragédie le moyen de nous débarrasser de nos passions par le spectacle des malheurs que celles-ci provoquent. C'est à cette interprétation que Rousseau répond dans la Lettre à d'Alembert et c'est contre elle également que, par avance, La République de Platon s'élevait. 

Cette première approche de la catharsis, qui est moins celle d'Aristote que celle de ses lecteurs et sectateurs, est donc l'occasion d'analyser la critique platonicienne des spectacles et de comprendre que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le bannissement du poète au livre X de La République procède d'une libération. La condamnation morale de la poésie chez Platon n'est pas « moralisatrice » mais métaphysique: le poète n'est pas chassé au nom de l'ordre public - lecture trop répandue du dernier livre de La République -, mais au nom de l'exigence de penser, c'est-à-dire de la liberté.

 

 

Séance du 1er avril 2010 / Le prix des larmes (catharsis 2)

Après la critique platonicienne de la tragédie, il convient de s'interroger sur le sens d'une catharsis comique. S'il est vrai que la comédie se moque de nos travers, n'a-t-elle pas le pouvoir de nous corriger par le rire comme la tragédie prétendait le faire par la crainte et la pitié? 

Mais de quoi rions-nous exactement? D'après Rousseau, moins de nos vices que de nos ridicules: la norme est sociale et non morale. Le rire ne serait donc pas moins dangereux que les larmes et on peut aller jusqu'à faire rire de la vertu même, ce que Rousseau entend montrer dans une analyse critique du Misanthrope, dont nous reproduisons ici un extrait

Comme l'émotion tragique, le rire est chose mélangée et il convient de démêler ce qui en lui nous libère effectivement de ce qui au contraire nous attache plus encore aux préjugés de notre époque.

 

 

Séance du 27 mai 2010  / Pourquoi les tyrans (ou les millionnaires) nous plaisent-ils dès lors qu’ils sont sur une scène (ou sur un écran) ?" 

 

Nous avons vu lors des séances précédentes que Platon s'attaquait à une poésie tyrannique tandis que Rousseau s'opposait à un théâtre aristocratique. 

Mais, si nous avons tenté de comprendre le fondement de ces critiques, il nous faut maintenant en formuler le versant positif: quelles seraient les conditions d'un art politiquement juste et moralement souhaitable? Ou encore: quel art pourrait, en vertu de ces critères, se prétendre « républicain » ou authentiquement populaire? 

Cette question nous amènera à poser celle du cinéma, dans ses tentatives pour se penser et se poser comme « art populaire », et, parmi elles, à nous intéresser plus particulièrement au "ciné-œil" (kino-glaz) de Dziga Vertov tel qu'il est défini par son Manifeste publié en 1923 et par son film le plus célèbre, L'Homme à la caméra (1929). En ce sens plus radical encore que celui d'Eisenstein, le cinéma selon Vertov doit renoncer au récit pour être socialement juste, car c'est la fiction - ses personnages et ses dénouements - qui, en elle-même, est porteuse de division sociale et de distinction de classes. 

Mais un discours sur le cinéma ne fait pas un film et il demeure comme une évidence que le bien fondé d'une démarche théorique ne suffit pas à fasciner notre regard comme les procédés sans complexes du ciné-drame. C'est également contre ces complaisances "spectaculaires" que Jacques Rivette écrivait son article sur Kapo. Le cinéma soviétique fait donc apparaître à nouveau ce qui occupe tant Platon et Rousseau: l'étrangeté qui consiste à ne pas être nécessairement attirés par ce que nous pensons pourtant légitime. C'est cet écart, cette différence de soi à soi, qui voudrait nous faire dispenser à l'avance toute œuvre artistique du souci moral et politique quand c'est au contraire ce qui en prouve la nécessité. 

 

 

Séance du 4 novembre 2010 / Après le travelling de Kapo

Nous avions conclu l'année sur la critique, demeurée célèbre, de Jacques Rivette à l'encontre du film Kapo et de son "abject travelling". 

Comme le titre de cette séance l'indique, ce sixième cours consistera en la reprise et le prolongement des questions que l'article de Rivette adresse à la représentation cinématographique, notamment lorsqu'il s'agit, selon l'expression consacrée, de "représenter l'irreprésentable". 

"Après le travelling de Kapo" désigne aussi bien ce qui pose problème dans le film de Pontecorvo au-delà de cette seule séquence, que ce que devient cette exigence aux allures platoniciennes dans la suite de l'histoire du cinéma. Nous aurons ainsi l'occasion d'examiner la revendication par Serge Daney d'une critique faite "dogme portatif" ou la formulation par Claude Lanzmann d'une exigence semblable au moment de la sortie de La Liste de Schindler.

 

 

Séance du 18 novembre 2010 / l'expressionnisme allemand était-il nazi?

Cette séance examinera la thèse que soutient Siegfried Kracauer, critique et théoricien allemand du cinéma, dans son ouvrage De Caligari à Hitler (1947). 

Partant de l'idée que le contenu et l’évolution des films ne sont pleinement compréhensibles qu'en relation avec les schémas psychologiques de la société qui les produit, Kracauer se propose de faire, au-delà de l'histoire manifeste des changements économiques et politiques, "l'histoire secrète du peuple allemand". Plus que tout autre art, le cinéma donnerait à voir les valeurs morales et politiques d’un peuple. Du Cabinet du Dr Caligari de Robert Wiene (1919) aux films de propagande nazis, il s'agit donc d'analyser le cas extrême mais exemplaire de cette approche: celui de la société allemande de l'entre-deux-guerres, dont le cinéma expressionniste exprimerait le basculement dans le nazisme.

 

 

Séance du 16 décembre 2010 / le spectacle du mal

La séance consistera à reprendre la question de la représentation du mal sous un angle spécifique en s'interrogeant sur le plaisir propre à la représentation de l'horreur. 

Car plaisir il y a, et même fascination. Comment donc rendre compte de l'intérêt qu'on peut éprouver à voir représenter l'horrible, jusqu'à l'insoutenable? Ou, en un mot, comment peut nous attirer ce qui nous répugne? C'est ce paradoxe que formulent des théoriciens du cinéma comme Noël Carroll (The Philosophy of Horror: Paradoxes of the Heart) à propos de l’attractivité particulière qu'exercent les films d'horreur. La jouissance du monstrueux peut ainsi être comprise comme la transgression carnavalesque des normes en vigueur. Mais c'est en ce point que le paradoxe se fait ambiguïté, car la transgression le temps d'un film est peut-être moins une critique de l'ordre établi qu'une manière d'évacuer l'anormalité et de célébrer le retour à l'ordre social.