Claude Lanzmann réagissait à la sortie du film de Spielberg dans Le Monde du 3 mars 1994. Cet article, intitulé "Holocauste, la représentation impossible", formule des critiques précises à l'égard du film, mais définit également un impératif éthique général quant à la représentation cinématographique de l'Holocauste.
"Je suis incapable d’une certaine manière de fonder mon dire. On comprend ou on ne comprend pas. C’est un peu comme le cogito cartésien: à la fin, on bute, c’est le nœud final, et on ne peut pas aller au-delà. L’Holocauste est d’abord unique en ceci qu’il édifie autour de lui, en un cercle de flamme, la limite à ne pas franchir parce qu’un certain absolu d’horreur est intransmissible: prétendre le faire, c’est se rendre coupable de la transgression la plus grave. La fiction est une transgression, je pense profondément qu’il y a un interdit de la représentation. En voyant La Liste de Schindler, j’ai retrouvé ce que j’avais éprouvé en voyant le feuilleton Holocauste. Transgresser ou trivialiser, ici c’est pareil : le feuilleton ou le film hollywoodien transgressent parce qu’ils «trivialisent», abolissant ainsi le caractère unique de l’Holocauste.
[…]
Et si j’avais trouvé un film existant - un film secret parce que c’était strictement interdit - tourné par un SS et montrant comment trois mille juifs, hommes, femmes, enfants, mouraient ensemble, asphyxiés dans une chambre à gaz du crématoire 2 d’Auschwitz, si j’avais trouvé cela, non seulement je ne l’aurais pas montré, mais je l’aurais détruit. Je ne suis pas capable de dire pourquoi. Ça va de soi."