Cinema

Vertov, le "ciné-oeil" contre le "ciné-drame"

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Pour le réalisateur soviétique Dziga Vertov, la fonction du cinéma est moins artistique que politique et citoyenne. La caméra doit servir au dévoilement de la vérité et participer ainsi aux luttes sociales.

Ce Manifeste vaut donc surtout pour sa valeur polémique: le cinéma n'est pas ce qu'il devrait être et, contre les beaux contes du cinéma dramatique qui endorment le peuple à coups de rêves mesquins, Vertov revendique la création d'un cinéma si inédit qu'il exige un nouveau nom, celui de "ciné-œil" (kino-glaz).

 

« Le cinéma dramatique est l'opium du peuple. 
A bas les rois et les reines immortels du rideau. Vive l'enregistrement des avant-gardes dans leur vie de tous les jours et dans leur travail ! 
A bas les scénarios-histoires de la bourgeoisie. Vive la vie en elle-même ! 
Le cinéma dramatique est une arme meurtrière dans les mains des capitalistes ! Avec la pratique révolutionnaire au quotidien nous reprendrons cette arme des mains de l'ennemi. 
Les drames artistiques contemporains sont les restes de l'ancien monde. C'est une tentative de mettre nos perspectives révolutionnaires à la sauce bourgeoise. 
Fini de mettre en scène notre quotidien, filmez-nous sur le coup comme nous sommes. 
Le scénario est une histoire inventée à notre propos, écrite par un écrivain. Nous poursuivons notre vie sans avoir à la régler au dire d'un bonimenteur. 
Chacun de nous poursuit son travail sans avoir à perturber celui des autres. Le but des Kinoks est de vous filmer sans vous déranger. 
Vive le ciné-œil de la Révolution ! 

Nous, afin de nous différencier de la meute de cinéastes ramassant pleinement la saleté des poubelles, nous nommons les "Kinoks". Il n'y a aucune ressemblance entre le "cinéma réaliste des Kinoks" et le cinéma des petits vendeurs de pacotilles. Pour nous, le cinéma dramatique psychologique Russe-Allemand lourd de souvenir infantile ne représente rien d'autre que de la démence. Nous proclamons les films théâtralisés, romanisés à l'ancienne ou autres, ensorcelés. 
Ne les approchez pas ! 
N'y touchez pas des yeux ! 
Il y a danger de mort ! 
[…] Nous exigeons : à la porte les étreintes exquises des romances
Le poison du roman psychologique
Les griffes du théâtre amoureux
Le plus loin possible de la musique. » 


Dziga Vertov, Manifeste du Ciné-œil, 1923, cité dans Articles, journaux, projets, trad. Sylviane Mossé et Andrée Robel, 1972.

Note 

Ce texte a fait l'objet d'un commentaire durant la séance du 27 mai 2010 de l'atelier l'art est-il politique?