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Préambule des statuts de l'Université Conventionnelle (2007)

Parce que la qualité des cœurs n’a jamais dispensé de la netteté des idées, il n’est aucune réforme politique qui ne dépende, en dernière instance, de la qualité des lumières publiques et d’elles seules. 

En ce sens, seule la réorganisation préalable des opinions populaires, aujourd’hui rongées par le scepticisme, l’aveuglement et le consumérisme, peut fournir une assise réelle à une quelconque rénovation des institutions, politiques et sociales, de la République. Sans cela, toute la finesse politique du monde restera vaine. 

Or, convaincus que la présente économie du savoir, aussi bien scolaire, qu’universitaire ou religieux, énerve de manière presque irrémédiable les instances collectives chargées de l’instruction publique, soumises comme elles sont aux sollicitations, aux impératifs et aux pressions de la société civile, nous croyons nécessaire de construire un mode d’éducation républicain neuf, réellement séparé des puissances temporelles, aussi bien politiques qu’économiques. 

C’est pourquoi, sous le nom de « Société conventionnelle », nous désirons renouer avec la racine authentiquement républicaine de l’enseignement populaire, laïque, indépendant et méthodique, tel que l’ont incarné, en leur temps, la Société positive d’Auguste Comte ou, à ses débuts, l’Union pour l’action morale de Paul Desjardins. 

Cette filiation historique éclaire le choix du terme « conventionnel » pour désigner notre présente démarche, et cela, sous trois rapports. 

Une « convention », libre par définition, impose en premier lieu le refus de contraindre, et définit le rapport sous lequel une véritable égalité peut seule exister entre êtres humains, c’est-à-dire le rapport moral. S’il n’y a égalité qu’en droit, décrétée et voulue dans le commerce moral et intellectuel, contre les inévitables différences induites par la vie civile, l’égalité des esprits dans leur vocation à comprendre ne peut vivre que dans le refus, la suspension, de toute force temporelle. En ce sens, parler de « société conventionnelle » exprime l’indépendance complète de nos travaux, d’où nous exclurons toujours, autant qu’il est possible, la moindre influence temporelle directe, qu’elle soit de propagande politique ou d’agitations économiques ou médiatiques. 

D’autre part, le terme d’école « conventionnelle » , si l’on veut synonyme d’école «commune» ou « normale », exprime simultanément la visée systématique de nos efforts. Nous souhaitons promouvoir un enseignement qui puisse satisfaire le besoin commun de lumière, sans sacrifier, on l’a vu, à l’urgence de l’insertion sociale ou de « l’école de la réussite », mais sans non plus céder à la tentation de la nouveauté ou de la vulgarisation de la recherche. En ce sens, la société conventionnelle se veut résolument inactuelle, tournant davantage son regard vers l’immense héritage scientifique et humaniste que nous lègue le passé, que se laissant éblouir par les scintillements douteux de la modernité ou de « l’actuel ». C’est à cette condition qu’un savoir peut être véritablement commun, et non pas vecteur plus ou moins explicite de distinction, comme tout ce qui est « d’avant-garde ». C’est pourquoi nous avons du écarter, malheureusement, le beau nom, aujourd’hui dévoyé ou démagogique, « d’université populaire ». 

En troisième lieu, le terme de «société conventionnelle » entend renvoyer à la période de la convention républicaine révolutionnaire de 1792 à 1794. Celle-ci a en effet exprimé, dans ses déchirements mêmes, et mieux qu’aucun autre moment de l’histoire récente, le caractère provisoire, encore inachevé, des politiques républicaines. Notre conviction est, à la suite de Danton ou Condorcet, que la République reste encore à faire, à achever, tant que le dogme de la souveraineté populaire reste corrompu par le vague et l’hypocrisie. Un peuple ne peut être souverain que si sa parole conserve l’indépendance et la consistance qui le mettent à l’abris des arguments spécieux ou de circonstances que nourrissent la confusion démocratique entre gouverner et juger, agir et blâmer ; confusion qu’incarnent, du reste, à divers titres, le journalisme ou le gouvernement d’opinion. 

C’est pourquoi nous userons de l’adjectif « conventionnel » pour exprimer le caractère progressif, transitoire, en un mot, historique, que doit reprendre une vie publique paralysée par les injonctions de l’actualité et la haine du passé. Le point de vue historique, en science comme en sociologie, définira ainsi l’essentiel de notre projet éducatif. Nous croyons donc que ce sens de l’égalité, de la communauté, et de l’histoire, aujourd’hui mis à mal par l’idéologie démocrate, le matérialisme économique et leur corollaire, la « fin de l’histoire », est plus que jamais nécessaire pour répondre à la destruction du capital terrestre, humain et même théorique, qu’engendre l’absence d’une autorité morale suffisamment consistante pour tempérer le règne aveugle des marchés. 

Par notre travail, nous souhaitons ainsi assister, de l’extérieur, et autant que faire ce peut, notre système éducatif, presque entièrement sécularisé, en redonnant à l’instruction le caractère méthodique, systématique et émancipateur, hors duquel l’école n’est plus guère qu’une gare de triage pour l’économie, et l’esprit un vain et servile ornement.